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l’homme et la terre. — les communes

L’aire de liberté où les révolutions communales furent la règle et transformèrent la société en subordonnant les évêques et les princes à la bourgeoisie, s’étendit, au nord de l’Ile-de-France, dans les bassins de l’Oise, de l’Aisne, de la Somme, de la Lys et de l’Escaut. C’étaient les contrées les plus industrieuses et les plus commerçantes de l’Europe occidentale, et là, par conséquent, devait naître l’état social nouveau. Déjà, durant la période de l’occupation romaine, les riverains de l’Escaut étaient habiles à tisser les étoffes de lin et préparaient le birris, que l’on apportait jusqu’au delà des Alpes. Les « prés salés » qui bordent le littoral étaient propres à l’élevage du mouton, et les habitants pouvaient sans peine recueillir la laine en quantités de beaucoup supérieures à leurs propres besoins. L’industrie drapière naquit spontanément de cet état de choses, « Les draps frisons du haut moyen âge ne sont, sous un autre nom, que les draps fabriqués à l’époque romaine par les Morins et les Ménapiens »[1]. Ils étaient bien connus aux foires de Saint-Denis dès les temps mérovingiens, puis on les exporta par chargements considérables sur les fleuves de la Belgique, vers le centre de l’Europe, tandis que les ports de mer les expédiaient dans la Grande-Bretagne et en Scandinavie. Tels furent les commencements de la prodigieuse fortune des villes industrieuses du nord de la France et des Flandres.

Un siècle avant les Croisades, les formes de contrat n’étaient connues et pratiquées que par les nobles et gens d’église ; mais voici que bourgeois et même paysans s’unissent pour obtenir des contrats, des « achats » d’affranchissement : c’est par centaines et par milliers que se multiplient les parchemins fixant les anciens droits et stipulant les nouveaux. Des serfs même deviennent libres dans les « sauvetés » et se font garantir leurs droits par écrit. Après la constitution des grandes communes urbaines à « foi jurée », une multitude de petites communes rurales s’établirent sur le même plan. En certaines contrées, ce fut la règle. Luchaire cite notamment quatre villages du pays de Laon et six villages du Soissonnais qui se constituèrent de part et d’autre en fédérations rurales[2]. La charte d’Arras fut le type modèle que l’on reproduisit dans la plupart des autres pactes municipaux. La ville acquit même une sorte de prééminence parmi les autres communes, peut-être parce qu’elle possédait un atelier monétaire : c’est devant les échevins d’Arras que les

  1. H. Pirenne, Histoire de la Belgique, tome I, p. 5, voir aussi pp. 171-179.
  2. A. Luchaire, Les Communes françaises à l’époque des Capétiens, pp. 69 et suiv.