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l’homme et la terre. — la révolution

méthodes nouvelles, rapides, déconcertantes dans l’art de la guerre, enfin, dans une certaine mesure, la faveur des populations dont le sort politique était l’enjeu, donnèrent l’ascendant aux armées républicaines, et le traité de Campo-Formio constata pour un temps (1797) l’humiliation de la maison d’Autriche.

Le changement d’équilibre consista principalement à constituer en Italie diverses petites républiques vassales de la France : une république « Cisalpine », dont le nom même rappelait l’ancienne domination de Rome pour laquelle les campagnes du Pô étaient « en deçà » des Alpes, prit Milan pour capitale. Une république Ligure reçut Gênes pour chef-lieu ; les États de l’Eglise furent grimés en une république Romaine, et le sang de saint Janvier dans la cathédrale de Naples eut ordre de se liquéfier pour annoncer joyeusement la fondation de la république Parthénopéenne. Le Directoire, ministère dictatorial qui gouvernait alors la France, avait adopté cette ligne de conduite politique, très habile si elle eût été sincère, de grouper autour de la république maternelle toute une poussinière de républiques filiales se succédant d’Amsterdam à Naples et formant à la France un rempart de peuples défenseurs qui eussent assuré désormais l’équilibre européen. Toutefois, ces républiques n’étaient guère qu’un nom sans réalité objective, de simples peintures badigeonnées sur la carte de l’Europe. Créées surtout par la force militaire et maintenues par elle, ces filles n’attendaient qu’un nouveau coup de force pour se détacher de leur mère. D’ailleurs n’avaient-elles pas été averties du sort qui leur était réservé par les proclamations du général Bonaparte montrant à ses soldats du haut des Alpes les belles campagnes de l’Italie ? « Vous êtes mal nourris et presque nus… Je vais vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde : vous y trouverez de grandes villes, de riches provinces, vous y trouverez honneur, gloire, richesses »[1].

Ces villes, ces provinces, on les pilla, on les accabla de contributions et d’amendes, en leur annonçant la liberté, la prospérité future. Le général vainqueur, étourdissant, effrayant son propre gouvernement par ses victoires successives, soudaines comme des coups de foudre, agissait désormais à sa guise : il ne se donnait même plus la peine de lire les ordres du Directoire. Il épargne le pouvoir temporel du pape au mépris

  1. Proclamation d’Albenga, 20 germinal, an IV.