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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/272

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l’homme et la terre. — la culture et la propriété

drie, mais aussi les forêts qui subsistent sont moins belles, moins riches en hautes futaies, et les pins, les sapins rigides à la sombre verdure y ont, en beaucoup d’endroits, remplacé les arbres feuillus. Etudiant la nomenclature géographique de l’Allemagne, von Berg a constaté, en 1871, que, sur un ensemble de 6 905 noms de lieux, dus à la végétation forestière, 6 115 se rapportent à des arbres feuillus, même en des contrées où ces arbres manquent complètement aujourd’hui ou, du moins, n’ont aucune importance en comparaison des conifères. Vers 1300, le Hanovre, le Holstein, la Westphalie du nord n’avaient point de forêts de pins, essence qui envahit ces contrées depuis le dix-neuvième siècle. Les conifères se sont avancés graduellement de l’est vers l’ouest, de la Slavie en Germanie parce qu’ils sont d’une croissance plus rapide et se contentent d’un sol moins riche. Mais ce sont des arbres à forme rudimentaire, beaucoup moins riche et variée que celle des arbres feuillus, et les progrès de la sylviculture consistent à nous rendre les forêts d’autrefois[1].

C’est donc le hasard qui nous gouverne aujourd’hui. L’humanité n’a pas encore fait l’inventaire de ses richesses et décidé de quelle manière elle doit les distribuer pour qu’elles soient réparties au mieux pour la beauté, le rendement, l’hygiène des hommes. La science n’est pas encore intervenue pour établir à grands traits les parts de la surface terrestre qui conviennent au maintien de la parure primitive et celles qu’il importe d’utiliser diversement, soit pour la production de la nourriture, soit pour les autres éléments de la fortune publique. Et comment pourrait-on demander à la société d’appliquer ainsi les enseignements de la statistique, alors que, devant le propriétaire isolé, devant l’individu qui a le « droit d’user et d’abuser », elle se déclare impuissante !

Un fait capital domine toute la civilisation moderne, le fait que la propriété d’un seul peut s’accroître indéfiniment, et même, en vertu du consentement presque universel, embrasser le monde entier. Le pouvoir des rois et des empereurs est limité, celui de la richesse ne l’est point. Le dollar est le maître des maîtres : c’est par sa vertu, avant toute autre raison, que les hommes sont répartis diversement sur la face de la terre, distribués çà et là dans les villes et les campagnes, dans les

  1. Hans Hausrath, Geographische Zeitschrift, 1901 ; Globus, 6 märz 1902.