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l’homme et la terre. — la culture et la propriété

la cultiver uniquement en vue de l’argent qu’elle lui rapporte, et si, dans les dernières années de son fermage, il trouve intérêt à forcer les récoltes au détriment du sol, peut être négligera-t-il de penser aux droits de son successeur. Pourquoi le fermier, délégué moyennant finance à la gestion du sol, vaudrait-il mieux que le patron ?

Et le métayer, qui partage à demi, à tiers, quart ou cinquième, que peut-on dire de son association avec le propriétaire, si ce n’est qu’elle figure un éternel combat ? Il reçoit en avances et rembourse en produits : ses intérêts sont donc en toutes circonstances directement opposés à ceux du maître. L’un et l’autre livrent le moins possible ; ils disputent sur tout, ne prononçant pas un mot qui ne soit bien pesé, de manière à épargner un grain ou à rapporter un centime. C’est ainsi que les choses se passent quand le contact est immédiat entre les représentants des deux classes ; mais la plupart se meuvent en des mondes absolument distincts, et les intérêts réciproques se traitent par l’intermédiaire d’agents, deuxièmes parasites, glissant presque toujours sur la pente facile des affaires qui les incitent à tromper l’un et l’autre des copartageants. Lorsque prévalent de pareilles pratiques, comment la préoccupation du meilleur traitement de la terre pourrait elle agiter l’esprit du métayer ? Vivoter simplement, s’accommoder comme il peut à son destin funeste, il ne saurait avoir d’autre désir[1].

Parmi d’autres combinaisons intermédiaires dans la tenure du sol, on peut citer aussi la pratique dite en Bretagne des « domaines congéables », pratique moins injuste en apparence que fermage ou métayage, mais beaucoup plus instable encore. On comprend facilement comment naquit cette coutume. Maints gentilshommes auxquels on avait attribué de vastes domaines ne savaient qu’en faire, puisqu’ils n’avaient aucun personnel pour les utiliser ou pour fournir à des métayers des éléments de travail. Ils se bornaient donc à offrir au premier occupant venu ces terres qui leur eussent été inutiles et, en échange, ils obtenaient un loyer quelconque, fort minime d’abord, mais s’accroissant en proportion des demandes en concession qu’on leur faisait d’ailleurs. Si de meilleures conditions de louage s’offraient à eux, ils avaient le droit de congédier leurs locataires, à condition de leur rembourser le prix de toutes les constructions élevées et de toutes les améliorations faites sur le

  1. Edmond Demolins, Les Français d’aujourd’hui, p. 313.