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l’homme et la terre. — la culture et la propriété

faim — et ils sont nombreux — par suite des conditions sociales, on doit constater que les famines proprement dites sont devenues relativement rares parmi les peuples civilisés, et ce qui en témoigne d’ailleurs, c’est que lorsque la nourriture vient à manquer, les hommes de nos jours sont complètement pris au dépourvu et ne savent aucunement s’ingénier pour trouver les aliments dans les corps innombrables qui nous entourent et qui renferment des substances assimilables ; mais en attendant cette ère, annoncée par Berthelot, de la future synthèse chimique de la nourriture, il est certain que les civilisés de nos jours le cèdent en invention aux prétendus sauvages.

Lors du siège de Paris, toute la sagacité des chercheurs de vivres consistait à capturer des chiens, des chats errants, à faire la chasse aux rats et bestioles ; la grande majorité des faméliques se croisaient les bras et n’avaient plus qu’à laisser venir la mort, à s’éteindre de maladies et d’épuisement quand se fermeraient les boulangeries et les épiceries et que les maigres rations administratives viendraient à manquer. En Russie, lorsque les récoltes ont été insuffisantes et que les paysans reconnaissent qu’il leur sera impossible de se procurer par le travail ou la mendicité la nourriture qui leur serait nécessaire, ils ont recours à ce que l’on appelle la « couchée » (liojka), c’est-à-dire à une sorte d’hibernation par le sommeil ; la même nécessité leur donne les mêmes mœurs qu’à la marmotte. La famille prend ses dispositions pour dormir pendant quatre ou cinq mois : la maison est calfeutrée, le haut du four et les étagères rapprochées du plafond sont arrangées pour servir de couches, on atténue la vie par l’obscurité, le silence. Le sommeil ne s’interrompt que pour les choses strictement nécessaires qui s’accomplissent comme dans un rêve. La population de districts entiers s’ingénie ainsi à suspendre partiellement l’existence pour suppléer au manque de pain[1].

Tout au contraire, lors d’une famine récente dans le pays des Zoulou, ceux-ci trouvèrent le moyen de suppléer aux vivres habituels par les racines, tiges, feuilles ou baies de 32 espèces de plantes, dont aucune partie n’avait été auparavant utilisée pour l’alimentation[2].

L’égalisation des conditions économiques n’était pas possible à une époque où les voies de communication n’existaient pas, ou du moins

  1. Volkov, Bulletin et Mémoires de la Société d’Anthropologie, 1900, pp. 67, 68.
  2. P. Hariot, La Nature. 30 juillet 1898, p. 134.