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l’homme et la terre. — la culture et la propriété

seurs de bière et les meuniers d’Europe ; on spécule même sur sa misère pour diminuer chaque année son maigre salaire : pendant le dernier siècle, le revenu journalier de l’Hindou a baissé ainsi d’une manière effrayante ; d’environ 20 centimes en 1850, il n’était plus que 15 centimes en 1882 et de 7 à 8 centimes en 1900. C’est là ce qu’on appelle la « prospérité de l’Inde »[1]. On comprend combien il serait absurde, en pareilles conditions, de vouloir inférer des famines de l’Inde que la culture du riz, confiée à un peuple de laboureurs possédant leur champ en propriété collective ou personnelle, serait insuffisante, pendant le cours des générations, à nourrir une population grandissante. L’Inde, de par la nature, est encore plus féconde que la Chine : elle pourrait également subvenir à l’alimentation des siens.

Mais « l’homme ne vit pas de pain seulement ». Les légumes verts et secs, les grains des légumineuses s’ajoutent aux produits des céréales. Pois, haricots, fèves, lentilles, soya des Mandchous et des Chinois représentent une quantité qui n’a point été évaluée avec la même approximation que les céréales, parce que ces graines ont moins d’importance dans l’alimentation du monde, mais on reste certainement en dessous de la vérité en estimant la récolte annuelle de ces produits à 200 millions d’hectolitres, ce qui, pour chaque individu, homme, femme, enfant, ajouterait encore au pain plus d’un litre par mois de la nourriture la plus substantielle. La production des pommes de terre, de plus grande valeur économique, bien que de moindre richesse proportionnelle en force nutritive, atteint ou dépasse chaque année un milliard d’hectolitres, appoint fort considérable dans l’alimentation des hommes. Quant aux légumes verts et aux fruits, ils ne sont l’objet d’aucune statistique générale, par le fait de leur extrême abondance et du manque presque absolu de centralisation dans les marchés : à l’exception des primeurs, des légumes de choix, des fruits de beauté ou de saveur exceptionnelle, tout se consomme sur place ; chaque petite ville a d’ordinaire ses rues ou ses halles abondamment pourvues, et que de pertes, que de gaspillages dans le transport, l’exposition, la longue attente des acheteurs ! Des centaines d’individus se nourrissent de déchets de légumes que l’on ramasse autour des halles de Paris ; des millions d’hommes pourraient vivre des fruits, pommes, poires, cerises, pêches, qui, dans les bonnes saisons, tombent

  1. William Digby, Prosperous British India.