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l’homme et la terre. — l’industrie et le commerce

Que les temps de la caravane sont donc lointains pour nos pays de l’Europe occidentale, si tant est que les transports de marchandises s’y soient jamais effectués par de longues lignes de bêtes de somme ! Dès que l’homme sut faire flotter une planche sur l’eau courante, il put, en organisant de courts portages, constituer un réseau suffisant pour la répartition de ses produits et dont l’effet utile est de beaucoup supérieur à celui des animaux de bât ; le halage est, mécaniquement, le moyen de transport le plus économique. Les voies fluviales furent relativement délaissées à leur tour quand on osa voguer sur mer. Les Alpes, les Carpates, les marais du bassin du Dniepr ne gênèrent plus le trafic de l’Adriatique à la Mer du Nord et de la Mer Noire à la Baltique, quand celui ci s’effectua par la circumnavigation de la péninsule européenne, de la Scandinavie à l’Orient méditerranéen. Même dans les pays où l’absence de rivières laisse toute son importance aux caravanes, l’Afrique saharienne, l’Arabie, la Perse, l’Asie Centrale, les Andes, la quantité totale de marchandises déplacées à grande distance n’a jamais été bien considérable, et en mille années, elle n’a certes pas atteint à ce que les trains de marchandises d’un seul pays d’Europe transporte maintenant en un an, c’est-à-dire un poids que l’on mesure en milliards de tonnes kilométriques et qui pour l’ensemble des réseaux du monde entier dépasse peut-être trois cents[1].

Les voies ferrées et la grande navigation ont remplacé la caravane, non seulement dans son rôle commercial mais encore dans la satisfaction qu’elle donnait à l’homme aimant à se déplacer. Le besoin du voyage atteint maintenant des couches humaines de plus en plus profondes, et appartient désormais à l’hygiène. En attendant mieux, la semaine payée de congé annuel fait à bon droit partie des revendications ouvrières et elle est utilisée par beaucoup de ceux qui l’obtiennent pour une villégiature au bord de la mer. Et l’évolution s’accompagne d’une augmentation de confort et de vitesse, et même d’une diminution de prix. En 1830, la flotte française mit 18 jours pour atteindre Alger ; aujourd’hui le trajet s’effectue normalement en 26 heures. De 1845 à 1901, le transport de la tonne kilométrique a baissé de 12 centimes à 4,5 et celui des voyageurs de 7 à 4. Mais, à vrai dire, l’amour des voyages dégénère chez beaucoup de gens riches en une manie déambulatoire

  1. Le réseau français (45 000 kilomètres, environ la vingtième partie du réseau mondial) a transporté, en 1901, seize milliards de tonnes kilométriques.