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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/376

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l’homme et la terre. — l’industrie et le commerce

politique, se donnant tel ou tel gouvernement temporaire suivant les mœurs du temps, les traditions locales et les préjugés des marchands les plus riches, à la volonté desquels se conformait la foule des petits trafiquants. Par la force des choses, les détenteurs du pouvoir les plus rapprochés de l’endroit où se faisaient ces opérations fructueuses essayaient d’en bénéficier à leur avantage et, presque partout, ils y ont réussi ; même quand la force de l’habitude ou le respect du passé ont maintenu les anciens champs de foire, la liberté des élections en a disparu : les surveillants et régulateurs en sont désignés d’avance.

D’ailleurs le rôle essentiel des anciens marchés à lieux et à dates fixes est désormais rempli par les grands magasins des cités, qui fonctionnent tous les jours de l’année. Certains objets rares et précieux, apportés de très loin, ne se trouvaient que dans les foires : on les voit maintenant, bien plus nombreux dans les maisons spéciales des grands négociants, et l’acheteur peut se les procurer quand il lui convient. Tel bazar de Londres ou de Paris contient plus de richesses que n’en portaient autrefois toutes les caravanes et qu’on n’en vendait à toutes les foires du monde ; chaque jour les convois des voies ferrées déversent dans la ville plus de clients qu’on n’en vit jamais à Sinigaglia, à Beaucaire, à Leipzig ou à Novgorod. Une grande révolution commerciale s’est donc accomplie : la périodicité des échanges a fait place à un mouvement incessant, continu de transactions que n’arrête pas même la nuit, puisque le soleil éclaire toujours un côté de la planète et que le réseau des chemins de fer, des télégraphes, des téléphones vibre sans cesse pour transporter les marchands et transmettre ses ordres de ville en ville et de continent à continent.

Le commerce international, qui déjà représente un si grand nombre de milliards — plus d’une centaine —, aurait pris des proportions bien autrement considérables si les gouvernements, obéissant aux injonctions des grands industriels de leur pays, n’avaient pris des mesures fiscales pour « protéger » le travail indigène, c’est-à-dire pour assurer aux bailleurs de fonds des entreprises nationales un très ample bénéfice. Dès que les producteurs d’une contrée sont avertis que l’article livré par eux est de valeur moindre ou de prix supérieur à l’article similaire obtenu ou fabriqué par les producteurs étrangers, ils intriguent auprès des pouvoirs publics pour empêcher qu’il pénètre dans le pays ou bien pour se faire accorder des primes d’exportation. En un mot, ils