Aller au contenu

Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/382

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
362
l’homme et la terre. — l’industrie et le commerce

que le principe est admis dans la gérance de la société ? La Révolution française est censée avoir aboli les douanes intérieures qui profilaient jadis soit à l’Etat, soit à des fermiers d’impôts, soit aux seigneurs ou aux villes ; mais les communes urbaines, entraînées par le gouvernement dans cette funeste voie, ont rétabli ces douanes à leurs portes, sous le nom d’octroi, car le progrès, a-t-on dit, consiste à changer les anciennes appellations. Quoi qu’il en soit, il est impossible de ne pas considérer comme d’une absurdité parfaite le prélèvement que l’on fait aux portes des villes sur les ressources de ces villes elles-mêmes et pour leur profit prétendu : c’est un cercle vicieux que l’on ne parcourt point sans qu’il y ait en route déperdition de force. Ces douanes intérieures, depuis longtemps condamnées en principe et cependant presqu’imposées par le gouvernement aux municipalités désireuses de s’en défaire, ont tous les inconvénients, puisqu’elles entravent à la fois la production, la circulation, la consommation. Elles ont été d’ailleurs établies sans aucune méthode et varient de ville en ville, changeant suivant les denrées et les industries. Economiquement, ce sont des institutions désastreuses ; moralement, elles accoutument les préposés aux abus d’autorité et à la rudesse, les citoyens à la bassesse d’attitude, au mensonge et à la ruse. La plupart des troubles qui, en Espagne, ont éclaté çà et là depuis trente ans ont eu pour origine des disputes entre paysans et employés d’octrois ; aussi sont-ce les édifices où se fait la perception qui commencent par flamber lorsque les discussions s’échauffent, que l’émeute se déclare et que la foule s’attaque aux représentants de l’autorité. Tout le monde est d’accord sur l’absurdité du système, et malgré cela il résiste à tous les assauts. N’est-ce pas grotesque de voir une cité comme Paris, dont les murailles, avec tout leur appareil de fossés, de talus, de contrescarpes, de zone extérieure, n’ont plus actuellement d’autre emploi que celui de barrière entre les fournisseurs de la campagne et les consommateurs de la ville : c’est un bien coûteux outillage pour un triste but !

Il est à prévoir que douanes intérieures et douanes extérieures aussi funestes les unes que les autres, finiront par être emportées dans le grand tourbillon de l’évolution générale. Elles dureront aussi longtemps que les États pourront maintenir leurs apparences d’autonomie sous la domination du capital triomphant. Déjà les grands industriels ont trouvé le moyen de ne pas en sentir les effets. Pour éviter les frontières,