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l’homme et la terre. — l’industrie et le commerce

chines mieux adaptées à leurs fins, dans le commerce — réserve faite pour l’art déployé dans l’arrangement des étalages — elle n’a pour effet que de mettre un certain mot le plus grand nombre de fois possible sous les yeux de l’acheteur. C’est le prospectus distribué dans les rues et qui recouvre d’une couche immonde les trottoirs de nos quartiers achalandés ; c’est l’annonce lumineuse, fixe ou à éclipse, blanche ou multicolore, qui harcèle l’œil et fatigue le cerveau ; c’est l’affiche installée dans les champs, peinte sur les rochers et au fond des eaux, projetée sur les nuages, et qui défigure les plus beaux endroits du globe ; c’est l’annonce qui triple le poids de nos journaux et envahit tout depuis la sixième page — et beaucoup plus dans les journaux anglais et américains — jusqu’à la première, et développe tout ce qu’il y a d’instincts pervers et de bêtise latente dans l’humanité. La réclame, enfin, augmente en de vastes proportions le travail de l’Union Postale Universelle et gonfle indûment à trente et quarante milliards le nombre des envois annuels[1]. Il convient, à l’égard du mercanlilisme, de mentionner la ville d’Edimbourg, où l’esprit public a été assez puissant pour amener les commerçants à se désister de leurs tentatives d’affiches lumineuses, et de penser avec reconnaissance à la presse d’opinion, au demi-quarteron de journaux hebdomadaires, aux trois ou quatre revues, qui ont rompu avec tout système d’annonces et ne s’appuient sur aucune combinaison financière.

Par ses occupations inutiles, encombrantes et malfaisantes, le commerce « fait vivre » une foule de gens, mais la société aurait certainement plus d’avantage à les nourrir à ne rien faire, en attendant qu’elle sache ramener leur activité vers les travaux d’amélioration du sol. C’est en débarrassant l’humanité de ce fatras que les réformateurs et utopistes ont beau jeu pour ne demander à chaque adulte de la Cité future que trois ou quatre heures de travail intelligent par jour.

Actuellement, dans chaque pays, le chiffre des transactions commerciales est pris comme étalon de la prospérité. Le point de vue contraire serait plus logique : mieux le sol est utilisé par les habitants, moindre devient la nécessité de faire voyager les denrées ; plus intelligent est le travail de leurs usines, moindre devient l’échange des produits. Au lieu de considérer le commerce comme un fétiche, il y a lieu, pour chaque groupe humain, d’étudier quelle serait la meilleure application

  1. En 1901, le nombre des envois par la poste a été de 30 milliards et il augmente considérablement chaque année.