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l’homme et la terre. — l’industrie et le commerce

que leur donnait le cosmopolitisme. Quant au gros des communautés juives, il lui fallait s’ingénier pour vivre, surtout de ces métiers auxquels on peut vaquer à domicile de manière à éviter les cris et les outrages. Mais les profits de ces petits travaux sont minimes et la lutte pour la vie serait des plus difficiles pour les Juifs prolétaires si l’excès du malheur ne les avait obligés à une grande solidarité.

Le petit nombre de métiers et de professions exercés par les Juifs, et surtout l’importance majeure donnée dans leur existence au commerce de l’argent, a certainement contribué pour une très forte part à leur créer un type particulier qui permet souvent de les distinguer parmi les autres éléments ethniques et sociaux. La morale professionnelle, qui se maintient durant un grand nombre de générations et qui se fortifie du père au fils et de l’aïeul au petit-fils sans être neutralisée ou combattue par une autre morale professionnelle, finit par acquérir une puissance irrépressible[1], l’amour du gain sans scrupules finit par se lire dans chaque regard, dans chaque geste, dans chaque expression des traits et mouvements du corps. Des millions de caricatures représentent le Juif aux mains crochues, à l’échine souple, au sourire captieux, au nez d’oiseau menteur ; mais ce n’est point là un type de race : il faut y voir une déformation temporaire, destinée à disparaître avec les causes qui l’ont fait naître, c’est-à-dire avec les conditions de la propriété et la concurrence commerciale. « C’est le ghetto, a-t-on souvent répété, c’est le ghetto qui a fait le Juif » ! En ouvrant les grilles du lieu maudit, on l’a plus qu’à demi déjudaïsé.

Mais il est facile de comprendre que, devenu plus libre ou même promu au rang de citoyen dans les mêmes conditions que les gens des autres cultes, le Juif veuille également échapper à l’opprobre qui pèse toujours sur les affranchis. Tandis que la masse des Israélites se borne à s’accommoder de son mieux aux circonstances, et compte sur la « patience et la longueur de temps », grands réparateurs des injustices, certains descendants incontestables de banquiers, de rabbins juifs, cherchent bassement à se perdre parmi les chrétiens, à faire oublier leur origine ; mais d’autres, de plus noble métal, restent fiers de leur passé, revendiquent hautement leur nom, s’attachent à leurs légendes et, même, lorsqu’ils ont cessé de croire, se réclament encore de la religion antique.

  1. Ed. Hartmann, Das Judenthum.