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affaiblissement du zèle islamique

Les excitations à la guerre sainte ne trouvent plus un écho suffisant dans la masse. L’Islam est beaucoup plus tolérant qu’on n’a l’habitude de le supposer en Occident. Pourvu qu’on professe « qu’il n’y a d’autre dieu que Dieu et que Mahomet est son prophète » et qu’on se conforme extérieurement à la loi musulmane, on peut expliquer les dogmes comme on l’entend. De là tant de sectes hétérodoxes, tolérées avec bienveillance, qui vont « du monothéisme le plus absolu à l’anthropomorphisme le plus cru ou au panthéisme le plus raffiné, et de l’austérité la plus rigide à l’hédonisme le plus complaisant[1] ».

Pourquoi des centaines de millions de mahométans qui sont eu contact avec la civilisation européenne lui restent ils refractaires, même hostiles ? Ce n’est point qu’eux aussi n’admettent la science et ses applications diverses : ils ont donné dans le passé d’admirables et abondantes preuves du désir d’apprendre qui les anime et de la puissance de leur prise intellectuelle. Mais, alors, les musulmans, chez lesquels d’ailleurs tous les peuples et toutes les races étaient représentés, avaient la force d’initiative et possédaient l’ascendant nécessaire pour trouver à leur aise les connaissances et les moyens d’étude dont ils avaient besoin. De nos jours, tout est renversé. Les maîtres en civilisation se présentent réellement en supérieurs, se disant et se croyant tels : leur attitude est blessante, et par conséquent elle est repoussée avec une politesse apparente ou une indifférence feinte, mais avec une réelle indignation. Ce sont précisément ceux qui se proclament les instituteurs par excellence, c’est-à-dire les missionnaires, les religieux, les maîtres d’école, appartenant à telle ou telle confession chrétienne, ce sont ceux là que les musulmans voient venir tout d’abord au-devant d’eux ! Il est moralement impossible qu’ils ne les écartent d’emblée, la psychologie humaine ne comporte pas d’autres résultats. Au lieu de se faire recevoir comme des hôtes, attendant modestement qu’on les interroge, les enseigneurs commencent par se déclarer « chrétiens ». c’est-à-dire ennemis jurés héréditaires des musulmans, et leur premier acte consiste à blasphémer devant ceux dont ils ont l’ambition de faire des élèves. Sûrs de l’impunité, puisqu’ils ont la force matérielle, ils se réclament de la « Très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit », ce qui est une pure abomination pour le monothéiste qui les écoute ; le fils de

  1. Edward G. Browne, Questions Diplomatiques et Coloniales, 15 mai 1901, p. 593.