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l’homme et la terre. — éducation

ont besoin de par le monde n’est pas d’un goût très relevé ni riche en substance, mais à toute chose il faut un commencement. L’impression juste est celle de Zola à qui des amis faisaient part de la campagne organisée contre lui dans toute la France par les journaux les plus répandus, et qui se réjouissait pourtant, heureux de ce que les ignorants d’hier se passionnent aujourd’hui pour la lecture : si la feuille qu’on lit en ce moment propage le mensonge, celle de demain dira la vérité.

Tout d’abord, que l’on apprenne à lire, et, de tout le chaos des phrases entremêlées, la critique finira par extraire ce qu’il est bon de savoir et de conserver en sa mémoire pour la conduite de la vie. Et d’ailleurs, en cet immense déluge d’imprimés qui se déverse incessamment sur le monde, combien y a-t-il d’œuvres qui sont vraiment bonnes, apportant avec elles soit un enseignement spécial dans le métier ou la profession, soit l’écho de quelque chose de grand, constituant un élément de progrès et jaillissant d’un point quelconque du globe vers l’individu qu’il rattache au reste de l’humanité pensante ?

L’influence absolument prépondérante de la presse et de tous les arts qui l’accompagnent, gravures, photographies, reproductions de toute espèce, est le résultat de changements trop récents en date pour qu’on puisse se faire une idée des modifications correspondantes qu’elle introduira dans la vie politique et sociale des nations. Mais quels que soient la vulgarité, la banalité, le désir de scandale, le patriotisme hypocrite de la plupart des feuilles quotidiennes et des revues périodiques, il est de toute certitude qu’elles élargiront l’espace intellectuel autour des lecteurs : elles l’arracheront à l’étroite commune, aux murs de la cité primitive, et graduellement se produira le travail d’élimination par lequel le public, désireux d’une nourriture de plus en plus substantielle, plus en rapport avec les intérêts généraux, écartera de la presse les futilités qui suffisaient à son enfance. Evidemment l’invasion de cette mer de connaissances communes à tous les peuples se fera comme l’irruption d’un nouveau déluge, de manière à remplir tout d’abord les régions basses en laissant çà et là des îles et des îlots, mais la marée montante finira par tout couvrir ; bien que le véritable enseignement se fasse par l’action directe d’individu à individu, l’ensemble de la transformation intellectuelle, vu de haut, semblera s’être accompli par grandes masses, par nationalités entières.

On se demande si la toute-puissance de la presse ne fera pas encore