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Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/489

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éducation par la presse

beaucoup plus, si elle n’amènera pas, sans le vouloir et sans le savoir, tous les peuples à parler une langue commune. Déjà, elle a fait dans cette direction une grande part du chemin. Les télégrammes incessamment échangés entre tous les pays du monde sont rédigés en un style concis, rapide, logique, facile à comprendre de tous, suivant un répertoire de mots convenus d’avance. Les articles qui développent ces dépêches brèves en subissent forcément l’influence et d’ailleurs ne sont point rédigés pour la plupart avec le grand souci de la beauté littéraire : ce ne sont d’ordinaire que de pures amplifications dont l’écriture s’éloigne fort peu des clichés habituels. Les mots originaux de la langue en sont volontiers écartés et l’on emploie de plus en plus des termes diplomatiques et parlementaires appartenant à la collection des expressions banales usitées dans les salons cosmopolites. Bien qu’un Français ne puisse comprendre l’espagnol, l’italien, le portugais, le roumain dans leurs prosateurs et leurs poètes qu’après une sérieuse étude, il peut lire couramment leurs journaux, retrouvant les mêmes mots avec des terminaisons différentes et les mêmes tournures avec quelques termes du crû, que l’on devine par l’ensemble de la phrase. Déjà dans tout le monde latin, la langue universelle est en voie de se former, et les parlers des nations slaves, germaniques, anglo-saxonnes s’assouplissent parallèlement pour se rapprocher par la construction générale de la moyenne universellement acceptée. Dans les congrès scientifiques internationaux, il est désormais entendu que tous les auditeurs comprennent les principales langues occidentales.

Pour celui qui aime sa langue maternelle et répugne à tous les jargons bâtards qui envahissent de toutes parts, non, il est vrai, le temple littéraire des nations, mais le parvis banal de la politique et du commerce, l’avènement d’une langue vraiment commune peut être considérée comme un véritable bienfait. Ce serait là du moins une franche révolution qui, plaçant deux idiomes à la disposition de chacun, celui d’usage international et le parler des jeunes années, permettrait de défendre celui-ci contre l’envahissement des mots étrangers — non par haine, mais par respect — et contre des tournures qui ne correspondent pas à son génie.

Que cette langue commune ne puisse être une langue morte comme le sanscrit, le grec ou le latin, cela est de toute évidence, malgré les pieux dépositaires des si beaux parlers d’autrefois, car ces anciens langages