Aller au contenu

Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome VI, Librairie universelle, 1905.djvu/551

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
527
conquête de l’espace et du temps

bout du monde à l’autre, l’historien, tourné vers le passé, conquiert le temps. Le genre humain qui se fait Un sous toutes les latitudes et tous les méridiens, tente également de se réaliser sous une forme qui embrasse tous les âges. C’est là une conquête non moins importante que la première. Toutes les civilisations antérieures, même celles de la préhistoire, entr’ouvrent devant nous le trésor de leurs secrets et s’incorporent graduellement, en un certain sens, dans la vie des sociétés actuelles. Par la succession des temps, que l’on peut tenter d’étudier maintenant comme un tableau synoptique se déployant suivant un ordre où nous essayons de retrouver la logique des événements, nous cessons de vivre uniquement dans le moment qui s’enfuit, et nous embrassons dans le passé toute la série des âges retracés par les annalistes et découverts par les archéologues. De cette manière, nous arrivons à nous dégager de la ligne stricte de développement indiquée par l’ambiance de notre lieu de séjour et par la descendance spéciale de notre race. Devant nous se dessine l’infini réseau des voies, parallèles, divergentes, entrecroisées, qu’ont suivies les autres fractions de l’humanité. Et partout, dans ces temps qui se déroulent vers un horizon indéfini, se présentent des exemples qui sollicitent notre génie d’imitation ; partout nous voyons surgir des frères envers lesquels nous sentons naître un esprit de solidarité. A mesure que la perspective des siècles se prolonge vers le passé, un plus grand nombre de modèles à comprendre se pressent autour de nous et, parmi eux, il en est beaucoup qui peuvent réveiller en nous l’ambition de leur ressembler par telle ou telle partie de leur idéal. En se déplaçant, en se modifiant de la façon la plus diverse suivant les peuples, l’humanité avait perdu une part notable des acquisitions déjà faites antérieurement, et, maintenant, nous pouvons nous demander s’il n’est pas possible de récupérer tout le bagage abandonné aux étapes de notre longue odyssée à travers les siècles.

Maîtres désormais de l’espace et du temps, les hommes voient donc s’ouvrir devant eux un champ indéfini d’acquisitions et de progrès, mais, embarrassés encore par les conditions illogiques et contradictoires de leur milieu, ils ne sont point en mesure de procéder avec science à l’œuvre harmonique de l’amélioration pour tous. Cela se comprend : toute initiative provenant d’individus et de minorités peu considérables, ces isolés ou ces faibles groupes courent au plus pressé, s’attaquent directement au mal en face duquel ils se trouvent et si les