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l’homme et la terre. — progrès

autrefois un animal grimpeur comme le singe. Pourquoi donc le moderne se laisse-t-il déchoir de cette adresse à l’escalade que possèdent encore d’une manière si remarquable certains primitifs, notamment ceux qui vont cueillir des régimes de fruits à la cime des palmiers ? L’enfant, dont la mère ne manque jamais d’admirer l’étonnante force de préhension manuelle, suffisante pour suspendre le corps, même pendant des minutes[1], perd graduellement cette vigueur première, parce qu’on lui retire avec soin l’occasion de l’exercer : il suffit que les vêtements soient menacés de déchirures et d’accrocs par les efforts du grimpeur pour que, dans notre société forcement économe, les parents interdisent l’ascension des arbres à leur progéniture : la peur du danger n’est, dans cette défense, que la considération secondaire.

Des craintes semblables ont pour résultat que la plupart des enfants « civilisés » restent de beaucoup inférieurs aux fils des sauvages dans les jeux de force et d’adresse. En outre, n’ayant guère l’occasion d’exercer leurs sens dans la libre nature, ils n’ont pas la même netteté de vision, la même finesse d’ouïe : comme animaux aux belles formes et aux sens affinés, tels que les eût désirés Herbert Spencer, ils sont pour la plupart incontestablement dégénérés. Ils ne méritent point les paroles d’admiration que la vue des jeunes hommes de Tenimber, s’exerçant à bander l’arc ou à lancer le javelot, fait naître chez les voyageurs européens[2]. Même parmi les joueurs de pelote, de golf et de crosse, qui constituent l’élite des civilisés pour la beauté corporelle, les spectateurs trouveraient difficilement l’occasion de s’extasier sur le parfait équilibre des formes chez tous les champions. L’évidence est faite. Il est certain que nombre de peuplades nègres et peaux-rouges, malaises et polynésiennes l’emportent par la pureté des lignes, la noblesse des attitudes, l’élégance de la démarche, non sur tel ou tel type exceptionnel parmi les Européens, mais sur des groupes pris au hasard, représentant le type moyen des nations d’Europe. Ainsi il y eut, à ce point de vue, régression générale par le fait de notre claustration dans les demeures et de notre costume absurde, empêchant la transpiration cutanée, l’action de l’air et de la lumière sur la peau, le libre développement des muscles, souvent gênés, torturés, estropiés même par brodequins et corsets. Toutefois, de nombreux exemples

  1. Drummond, Ascent of Man, pp. 101, 103.
  2. Anna Forbes, Insulinde. Expérience of a Naturalist’s Wife in the Eastern Archipelago.