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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

louer jusqu’à maintenant du gouvernement anglais. Il est vrai qu’avant le débarquement des missionnaires et des planteurs, les Fidjiens, hommes superbes, beaux, forts, intelligents, se trouvaient dans une période de décadence lamentable : la monarchie absolue, avec sa conséquence fatale, l’asservissement général des indigènes, puis les pratiques de l’anthropophagie ou « communion du grand porc », qui, après avoir eu un caractère purement religieux, était devenue un simple moyen de terreur pour « morigéner les basses classes », toutes les formes sociales indiquaient une déchéance rapide que l’arrivée des Européens eut pour résultat de hâter. Lorsque les Fidjiens se donnèrent à l’Angleterre, en 1876, l’inauguration du nouvel ordre de choses se fit par une terrible épidémie de rougeole, qui emporta le cinquième de la population, et, depuis cette année fatale, le dépérissement général ne paraît point s’être arrêté ; de 115 000 en 1884, le nombre des Fidjiens est tombé à 95 000 en 1901 ; pourtant il arrive maintenant, en telle ou telle année, que le nombre des naissances soit supérieur à celui des décès. Quant au relèvement moral, pourrait-il s’accomplir, puisque les indigènes ne prennent point part à la gérance de leurs intérêts et qu’ils ne possèdent même aucune parcelle du sol ? Les planteurs anglais et les chefs indigènes ont bassement profité de la législation qui leur permet de clôturer les terres communales à leur profit personnel.

Dans leurs possessions d’Afrique, les Anglais chargés de l’administration voient également de très haut la population noire dont ils sont chargés de faire des concitoyens et des « frères en la foi ». On peut juger de l’état d’âme des maîtres britanniques à l’égard de leurs protégés par l’écart extraordinaire des prix qui, sur les chemins de fer de la côte, ont pour but évident de trier les voyageurs et de rendre le contact impossible entre gens de race différente. Sur le chemin de fer de Mombaza au Nyanza, la proportion entre les premières places et les troisièmes est fixée du dodécuple à l’unité[1]. Un esprit d’inégalité absolue, d’aversion même, prévaut entre homme et homme : il ne conviendrait pas qu’un indigène pût s’imaginer par le siège, l’étoffe et les passementeries de son compartiment qu’il appartient à la même classe que l’Européen, se prélassant dans les premières.

Pourtant, les enseignements plus ou moins hautains du blanc et le

  1. Report on the Progress of the Mombasa-Victoria-Railway, 1897, 1898, Bluebook C.8942.