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l’homme et la terre. — travail

d’autres fois, il triomphe des obstacles et progresse d’autant vers un état plus élevé.

Aux causes extérieures de changement provenant de la nature inanimée, s’ajoutent, chez les groupes humains, celles qui, proviennent du ressort donné à l’intelligence par l’enseignement mutuel, dont la forme ordinaire est le jeu. Le libre amusement, tel est l’un des plus grands éducateurs de l’homme[1]. Ce que nous appelons le jeu et que nous distinguons actuellement avec tant de soin du travail, fut, après la nourriture, la forme la plus ancienne de l’activité des hommes[2]. De même que la mère s’amuse en enseignant à son nourrisson les mouvements, les gestes, les sons qui l’accommoderont graduellement à son milieu, de même les enfants et les jeunes hommes entre eux ressentent une joie profonde à faire dans tous leurs jeux la répétition de la vie.

Leur puissance d’imagination est telle que, seuls, ils éprouvent déjà du plaisir à se figurer et à jouer des scènes dont ils sont à la fois les acteurs, les patients, les spectateurs, mais combien plus grande est leur passion, avec quel zèle éperdu, avec quelle sincérité dans la fantaisie se livrent-ils à leurs jeux quand ils sont nombreux à y participer et que chacun a son rôle dans le drame ou la comédie ! Ils sont alternativement chasseur et gibier, vainqueur et vaincu, juge et victime, coupable et innocent ; ils passent par toutes les phases imaginables de l’existence, ils en éprouvent toutes les émotions, et, suivant les tendances naturelles de leur être, apprennent à développer telle ou telle de leurs qualités lectrices ; ce qu’ils acquièrent a dans leur être des racines d’autant plus fortes que l’éclosion s’en est faite inconsciemment ; ils s’imaginent alors volontiers être des créateurs. Il se produit chez eux comme une sorte de rythme entre la vie pratique ordinaire et la vie d’imagination que donne le jeu, et cette dernière existence semble souvent la plus réelle parce qu’on y jette toute sa force avec le plus d’intensité. Ce n’est pas la simple récréation, comme la pratiquent les gens usés, privés de leur ressort naturel, c’est la réalisation même de l’idéal d’enfance ou de jeunesse. Du reste, cet idéal de l’homme qui s’amuse ne diffère point de celui qu’il voit flotter devant lui dans le repos de sa pensée. Tel apprend dans ses jeux à rester libre,

  1. Karl Groos, Die Spiele der Tiere ; Die Spiele der Menschen.
  2. G. Ferrero, Les Formes primitives du Travail.