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l’homme et la terre. — origines

la Terre. Une histoire, infinie par la suite des vicissitudes, s’est ainsi déroulée d’âge en âge sous l’influence des deux milieux, céleste et terrestre, pour tous les groupes d’organismes, végétaux et animaux, que font germer la mer et le sol nourricier. Quand l’homme naquit, après le cycle immense d’autres espèces, son développement se trouvait déjà projeté dans l’avenir par la forme et le relief des contrées dans lesquelles ses ancêtres animaux avaient vécu.

Vue de haut, dans ses rapports avec l’Homme, la Géographie n’est autre chose que l’Histoire dans l’espace, de même que l’Histoire est la Géographie dans le temps. Herder, parlant de la physiologie, ne nous a-t-il pas déjà dit qu’elle est l’anatomie agissante ? Ne peut-on dire également que l’Homme est la Nature prenant conscience d’elle-même ?

Relativement à l’apparition de l’humanité sur la Terre s’agitent bien des questions qui n’ont point été résolues encore. Notre provenance du monde animal nous rattache-t-elle à un ou plusieurs types ancestraux ? Des deux hypothèses, le monogénisme et le polygénisme, laquelle est, sinon la vraie, du moins la mieux corroborée par l’ensemble des faits déjà connus ? On nous dit bien que « toute cette scolastique est du passé, maintenant que le darwinisme a mis tout le monde d’accord »[1], mais qu’importe, si le conflit renaît sous d’autres noms et si l’on vient à nous parler de « races » considérées comme pratiquement irréductibles ?

Une tendance naturelle à tout individu est de se contempler comme un être absolument à part dans l’ensemble de l’univers. Le sentiment intime de sa vie propre, la plénitude de sa force personnelle ne lui permettant point de voir dans les autres des égaux, il se croit favorisé du hasard ou des dieux. Mais les nécessités de l’existence le rattachant au groupe de la famille, puis à celui du clan ou de la tribu, il ne peut se figurer non plus son origine comme absolument indépendante du cercle des proches, à moins que l’orgueil de la souveraineté n’en fasse une divinité, telle que s’imaginèrent l’être les Alexandre et les Césars. Il se résigne donc à partager avec les siens, mais avec les siens seulement, une origine collective : chaque tribu se crée, en ses

  1. G. Vacher de Lapouge, Les Sélections sociales, p. 11.