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origines animales de l’homme

imaginations premières, une descendance bien distincte. Dans les premiers âges, tels que nous les ont conservés, avec une certaine ressemblance, les populations les plus anciennes, l’homme professe instinctivement le polygénisme ; mais, de toutes les espèces diverses, il en est une, la sienne, qu’il tient, en toute naïveté et tout orgueil, pour la race humaine par excellence.

Certainement, la liste des noms de peuplades et de peuples se compose principalement de mots ayant pour signification primitive le sens « Homme », dans une acception exclusive, comme si tous les autres groupes d’individus à face humaine n’avaient été, aux yeux des êtres d’élection, qu’un amas informe appartenant à quelque animalité secondaire. Même, lorsque les appellations ethniques ont une signification spéciale due au pays, à la provenance ou à quelque trait particulier, ces appellations perdent leur sens originaire pendant le cours des siècles, pour prendre, dans la pensée de ceux qui les portent, une valeur exceptionnelle, unique, vraiment divine. Il n’est pas de sauvages — et, à cet égard, quelle nation peut se dire complètement dégagée de la sauvagerie première ? — il n’est pas de sauvages qui ne regardent les peuples d’alentour du haut de leur dignité de « peuple élu ».

Mais l’isolement ne peut durer, et, par la suite des événements, alliances et relations de commerce, guerres et traités, les hommes ont appris qu’ils appartiennent, sinon à une même race, du moins à un groupement d’êtres qui se ressemblent d’une manière intime et que des traits essentiels, tels que la station droite, l’usage du feu, la langue articulée, distinguent nettement de tous les autres animaux. Même, en des moments de détresse commune, et le plus souvent de sexe à sexe par l’instinct d’amour, la fraternité naquit entre gens de tribus différentes ; puis, lorsque de grandes civilisations eurent mis en contact toute une partie considérable de l’humanité, comme dans l’Inde, au temps du Buddha, et pendant la période de l’œcumène grecque et latine, sous les Antonins, l’idée de l’unité humaine se répandit : même en se haïssant, les fils de la Terre commune se glorifièrent d’appartenir à une seule et unique descendance ; la monogénie trouva ses apôtres. Comme document de transition entre les deux théories nettement contraires, monogéniste et polygéniste, le livre de la Genèse, d’ailleurs issu de multiples origines légendaires, peut être cité en faveur de l’une