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grecs et perses

disposait de la force honteuse que donne la corruption : de l’argent, des étoffes précieuses, une cargaison de navire bien vendue eurent fréquemment l’heur de changer des convictions qui semblaient inébranlables. Ne vit-on pas Thémistocle, le vainqueur de Salamine, devenir satrape de Perse et gouverneur de cités, grecques par la race, la langue et les mœurs, au nom du Roi des rois ?

Un des personnages de la famille des Akhéménides, Cyrus le jeune qui essaya vainement d’arracher l’empire à son frère Artaxerxès Mnemon, apparaît dans l’histoire comme une sorte de semi-Grec, ayant du moins les côtés extérieurs de la culture hellénique et très habile à séduire les écrivains et les artistes qui venaient à sa cour ; c’est ainsi qu’en des circonstances analogues, pendant ce grand xviiie siècle où se préparèrent des luttes gigantesques de nations et d’idées, on vit les littérateurs et les savants accourir de l’Occident vers Frédéric de Prusse et Catherine de Russie pour s’entretenir avec eux de l’idéal et leur proposer des plans de réforme, en l’espérance naïve que ces potentats entreraient dans leurs projets pour l’amélioration du genre humain. « C’est du Nord aujourd’hui que nous vient la lumière » ! s’écriait-on à cette époque en s’adressant aux despotes aimables dont toute la civilisation consistait à bien parler le français. De même, le disert Xénophon, encore la cervelle emplie des enseignements de Socrate, cherche des modèles parmi les Perses, et l’homme par excellence est pour lui le grand Cyrus, « si habile à gouverner les hommes en s’y prenant avec adresse »[1].

Ainsi l’union se préparait : les Perses se faisaient Grecs, et ceux-ci devenaient Perses. Quand Alexandre, vengeur des guerres médiques, fut porté en plein cœur de l’Asie avec le reflux des Grecs et des Macédoniens, il ne s’annonça nullement comme un civilisateur hellénique désireux d’élever les Barbares : il ne chercha qu’à se faire Perse lui-même, à se substituer à Darius comme « roi d’Asie », à prendre pour limites exactes de son empire celles mêmes qu’avaient eues les domaines du souverain dont il épousa la fille. De ses capitales, l’une, Suse, était spécialement persane, tandis que l’autre, Babylone, avait l’avantage de commander naturellement au monde oriental, comme centre des grandes voies de communi-

  1. Cyropédie, livre I, chap. i.