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l’homme et la terre. — potamie

peu près quatre mille ans avant les temps actuels, ils fondèrent un grand nombre de principautés dans la partie méridionale de la Mésopotamie, puis devinrent les maîtres dans la Babylonie proprement dite[1]. Sémites, comme d’autres immigrants venus du nord et du nord-ouest, ils imposèrent peu à peu leur langue aux résidants de la contrée.

L’idiome akkadien se transforma graduellement en un langage sacré, hiératique, que l’on continua d’employer dans les mystères religieux, comme notre latin d’église, des centaines et des milliers d’années après qu’il eut cessé d’être parlé vulgairement par les habitants du pays. Les formules mystiques ne sont-elles pas d’autant plus puissantes qu’elles sont incomprises ? Les amulettes n’ont-elles pas d’autant plus de vertu qu’on n’en devine pas les signes ? L’akkad était au moins depuis dix siècles une langue morte qu’on l’apprenait encore dans les séminaires de la Babylonie[2]. On s’en servait pour les prières, pour la magie, pour l’astrologie ; dans nos langues se maintiennent, en certain nombre, des mots akkadiens, de même que dans notre mythologie sont restées des traces multiples de la conception que ce peuple avait de l’univers.

Quant au nom de Chaldéens, il s’est également perpétué, mais en dehors de son sens primitif : on l’applique historiquement aux populations de la Mésopotamie ; du temps des Romains, il n’avait d’autre signification que celle d’ « astrologue », « magicien » ; maintenant on le réserve, dans un sens spécial, à une secte soi-disant chrétienne d’origine sémitique, les Khaldanis, dont il existe quelques débris sur les plateaux de l’Azerbeïdjan et dans les montagnes des Kurdes.

La très remarquable légende de la confusion des langues qui se produisit parmi les constructeurs de la Tour de Babel suffit à montrer combien, à ces époques lointaines, d’immigrants de toute race s’étaient réunis dans les terres riveraines du bas Euphrate ; mais ces éléments ethniques différents, soumis à l’influence prépondérante des Sémites, finirent par se « sémitiser » en entier, ainsi que durent le faire les Akkadiens, qui pourtant avaient joui pendant une longue période de la domination politique et de l’initiative intellectuelle.

  1. Hugo Winckler, Die Völker Vorderasiens, p. 11.
  2. Fr. Lenormant, Les Premières Civilisations, tome II, pp. 151, 152.