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montagnes paradisiaques

antiques, la fameuse « échelle de Jacob », n’étaient pas autre chose, dans la forme première de la légende, que des montagnes factices, des volées d’étages en gradins, dont les anges montaient les degrés en apportant leur adoration aux dieux. Ces monts, construits de mains d’hommes, étaient autant de symboles du sommet divin, des pyramides aux sept portes, consacrées aux sept planètes. Et les « jardins suspendus » des rois babyloniens n’étaient-ils pas aussi des paradis artificiels, se superposant en terrasses à de grandes hauteurs sur des étages voûtés et recevant des eaux abondantes soulevées par de puissantes machines hydrauliques ? Ce ruissellement symbolisait les fleuves sacrés nés sur les hauts sommets des monts[1].

D’ailleurs, il semble probable que les rois babyloniens profitaient de la vénération du peuple à l’égard des temples à degrés pour y faire déposer leurs corps, de même que leurs confrères de l’Egypte se faisaient enterrer dans les Pyramides[2].

Le terme persan « paradis », d’origine probablement récente, au plus quatre mille années, ne s’appliquait d’abord qu’aux parcs de chasse, pairi-daiza, lieu enclos de murs, et ne se rapportait nullement à des lieux de parfait bonheur tels qu’on les conçoit dans le sens actuel du mot ; cependant ces forêts réservées des rois perses, situées dans le voisinage de l’Elvend ou de tel autre mont superbe, devaient être fort agréables par la pureté de l’air, la fraîcheur des eaux, l’éclat de la végétation, le foisonnement du gibier, puisque ce nom de paradis a fini par devenir, dans nos langues occidentales, le synonyme de « jardin délicieux » même de « béatitude éternelle » ; toutefois, chez les Iraniens, ce terme resta toujours une expression profane : le mot consacré au lieu mystique du bonheur pur est celui de vara[3], analogue au mot « Eden », employé dans les livres sacrés des Hébreux, avec la signification de « lieu de la joie » ou de la « volupté ».

Tous les paradis durent posséder pour l’homme, outre leur beauté propre, un élément qui les embellissait à l’infini, celui d’un souvenir plein de regrets. Ceux qui les nommaient ainsi se rappelaient avoir dû les quitter pour échapper à quelque invasion de bandes ennemies, à un déluge, à des tremblements de terre : ils voyaient en ces lieux

  1. Oppert, Expédition en Mésopotamie, t. III, pp. 56 et suiv. ; Ch. et F. Lenormant.
  2. Alfred Jeremias, Halle und Paradies bei den Babyloniern.
  3. Dillman, C. de Harlez, Fr. Lenormant, Les Origines de l’Histoire, pp. 64 et suiv.