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Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/150

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l’homme et la terre. — égypte

pays habité et transformé par lui assigne un rôle distinct parmi les nations.

Combien de siècles, à compter peut-être par centaines et par milliers, durent s’écouler avant que la race nouvelle déterminée par le milieu spécial de la vallée nilotique prît un caractère durable ! Quelle succession d’efforts, souvent infructueux, pour accommoder les cultures au sol inégal, spongieux, coupé de fondrières et de marécages, pour le distribuer en champs et en sillons, pour concilier ces travaux contradictoires en apparence : protéger les demeures contre les crues et solliciter le flot pour l’irrigation des jardins ! Une légende qui symbolise les luttes de l’Egyptien primitif contre le fleuve indompté nous dit que Menés, le fondateur prétendu de l’empire, le constructeur des digues et l’excavateur des canaux, fut, pour sa peine, dévoré par un crocodile. C’est qu’en effet il y eut de terribles retours dans l’appropriation graduelle des inondations fluviales aux besoins de l’agriculture ! De nombreuses générations périrent à ce labeur. Aux voisins les plus rapprochés de la vallée inférieure du Nil se mêlèrent, sans doute en des temps très anciens, des représentants de toutes les populations du bassin fluvial, y compris des nègres, soit venus en hommes libres, soit importés comme esclaves. Des riverains de la Méditerranée appartenant à diverses nations de navigateurs ne pouvaient manquer de débarquer sur le littoral et d’y fonder des colonies, les unes ayant maintenu longtemps leur individualité distincte, les autres bientôt réduites, absorbées dans la masse de la population. L’histoire écrite nous donne, quelques témoignages de ces immigrations par mer, de même qu’elle nous raconte aussi des exodes de provenance asiatique amenant des Sémites et gens de race apparentée, ainsi que des Aryens et jusqu’à des Mongols. Parmi ces visiteurs de l’ancienne Égypte, il en est que des savants ont pu signaler comme étant complètement distincts du type égyptien tel qu’il s’est constitué pendant le cours des âges.

Des peintures, décrites par Champollion[1], mais disparues depuis, prouvent que les Egyptiens divisaient en races l’humanité connue d’eux. Dans le tombeau de Menephtah, à Biban-et-Moluk, on pouvait distinguer, il y a 80 ans, l’Egyptien rouge, « l’homme par excellence »,

  1. Lettres écrites d’Égypte et de Nubie, citées par Piètrement, Société d’Anthropologie, 6, xii, 1883.