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l’homme et la terre. — égypte

tionnaires les faisaient rentrer dans la sujétion, tout cela semble une description de quelque scène récente, par exemple de la situation des Cafres ou des Chinois dans les compounds du Goldrand au Transvaal. A trente-deux siècles de distance, nous sommes contemporains de ces travailleurs qui ne demandaient qu’à manger suffisamment pour remplir la tâche imposée.

Un régime qui comporte pour règle fondamentale que le travailleur ne possédera pas en propre le produit de son travail ne peut reposer que sur la terreur, et telle était en effet l’essence même du gouvernement égyptien. Huit livres de la loi, toujours placés sous les yeux des juges, énuméraient les crimes que la mort du coupable pouvait seule expier. La qualification de crime digne de mort s’étendait de l’assassinat aux fautes qui sont actuellement considérées comme contraventions ou délits, ou même seulement comme simples péchés. Ainsi le mensonge et l’âpreté au gain pouvaient être punis de mort[1].

En réalité, tout était punissable si le caprice du maître en jugeait ainsi. Il pouvait ordonner la mort, mais d’ordinaire il se contentait de faire couper le nez et les oreilles du délinquant ou de lui faire distribuer libéralement des coups de bâton. D’autre part, une savante organisation de la hiérarchie des fonctionnaires tenait aussi grand compte de leur vanité ; les Egyptiens étalaient leurs décorations avec la même puérilité que nos contemporains. Les uns portaient l’ordre du lion, récompensant le mérite guerrier ; les autres très fiers encore, quoique moins bien lotis, ornaient leurs vêtements de l’ordre de la mouche, réservé au mérite civil[2].

Le régime d’autorité absolue qui avait fini par prévaloir dans le gouvernement du peuple devait être également appliqué pour l’éducation des enfants. Au mode d’enseignement des premiers âges qui se fait par l’apprentissage de la vie, dans la liberté des champs, sous les yeux de la mère, des camarades et de la parenté, avait succédé l’école proprement dite, sous la direction d’un maître ayant une mission bien définie, celle de dresser des sujets obéissants. Le bâton était toujours dans la main de l’instituteur. « C’est sur le dos de l’enfant que se trouvent ses oreilles », disait un proverbe égyptien. L’école était souvent dite « la

  1. Diodore de Sicile ; — Ollivier de Beauregard, Bulletin de la Soc. d’Anthrop. 16. x, 1890.
  2. Mariette ; Fr. Lenormant.