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l’homme et la terre. — égypte

immuablement sa course dans le ciel bleu, évoquant les eaux et donnant la vie à toutes choses, le Nil qui chemine incessamment vers la mer, épandant la nourriture dans la terre féconde. Aussi, la divinité par excellence change-t-elle suivant les désirs et les moments dans l’esprit des adorateurs qui les invoquent. Elle se confond d’ordinaire avec l’astre souverain, mais souvent elle est identifiée avec le fleuve, ou bien encore elle est à la fois l’un et l’autre. Une tradition nous dit que l’homme est sorti du grand « œil de Dieu »[1], c’est-à-dire du soleil ; mais un autre mythe, tellement populaire qu’il a fini par devenir un patrimoine commun et qu’on le retrouve dans toutes les langues modernes, donne à l’homme une autre origine : il serait né du limon nilotique. D’ailleurs n’est-il pas vrai, en substance, que la chaleur et l’humidité sont réellement les forces qui nous ont fait surgir du sol, après des millions et des millions d’espèces devancières ? Peu de vérités scientifiques paraissent plus évidentes sous le voile transparent qui les recouvre.

Les symboles sont indéfiniment extensibles ; d’abord simple fantaisie de l’esprit, puis dogmes religieux que le fidèle confesse sur le bûcher, — d’abord germes à peine perceptibles, puis végétations immenses —, ils obéissent à l’imagination qui les créa, qui les nourrit et qui peut, s’il lui plaît, leur faire envahir le ciel et la terre. Osiris, Isis, Horus, Typhon sont autant de protées que l’on adora sous mille formes puisque l’âme émue les fait surgir à volonté pour leur confier la réalisation de son désir. Osiris est évidemment le soleil, le dieu évocateur de toute vie terrestre, et comme tel, celui qui jugera ses créatures au seuil d’une vie nouvelle ; mais puisqu’il donne naissance aux plantes et aux hommes, il marie sa force à celle du fleuve fécondant, le Nil, dont les flots se répandent sur la terre : il est le fleuve lui-même. Isis, sœur et épouse d’Osiris, est la lune qui chemine paisiblement pendant les nuits, mais elle est surtout la bonne terre qui reçoit la semence. Le vrai mariage d’Osiris et d’Isis se fait dans le champ qui nous donne le pain, et leur jaloux, leur ennemi, qui est également une grande force de la nature, est le vent desséchant du désert, ou bien encore le lourd rayon du soleil de l’été. Ainsi le méchant Typhon devient aussi le soleil comme le bon Osiris.

  1. L. von Ranke, Weltgeschichte, I, p. 7.