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l’homme et la terre. — égypte

par être reconnu « juste » et par entrer, Osiris humain, en un état de divinité véritable ; c’est alors qu’il reviendra vers son corps pour l’animer de nouveau, le transformer en une enveloppe glorieuse qui ne connaîtra plus ni la douleur, ni le déclin, ni la mort[1].

La toute-puissance du sacerdoce donnait aux rites, aux incantations et surtout aux offrandes très profitables à la caste une importance suprême dans le salut des morts ; toutefois le fond de justice et de bonté qui s’était maintenu dans ces populations agricoles revient incessamment dans le formulaire du rituel comme une survivance de l’ancienne Égypte que les premiers agriculteurs avaient conquise sur les marais du Nil par leur âpre labeur, leur étroite solidarité et ce sens de la mesure qui en fit d’admirables géomètres. « J’ai donné du pain à qui était affamé, j’ai donné de l’eau à qui avait soif, j’ai donné des vêtements à qui était nu » ; et chaque maître, chaque préposé au travail se vante, dans ses panégyriques mortuaires, de son esprit d’inépuisable charité : « Moi, je suis le bâton du vieillard, la nourrice de l’enfant, l’avocat du misérable, le réchauffeur de ceux qui ont froid, le pain des abattus ». « Je suis le père de ceux qui n’ont pas de père, la mère de celui qui n’a pas de mère »… « Jamais je n’ai fait travailler qui que ce soit plus que je ne travaille moi-même »… « Jamais je n’ai calomnié l’esclave auprès de son maître ». Et non seulement le défunt prétend avoir été bon et juste, il se vante aussi de sa vaillance dans la défense des faibles contre les forts : « J’ai détourné le bras des violents, opposé la force à la force, j’ai été hautain pour les hautains, et j’ai abattu l’épaule de qui levait l’épaule ». Il est vrai que ce sont là de simples épitaphes, menteuses comme elles le sont presque toutes, mais l’insistance avec laquelle les éloges posthumes parlent des qualités du mort prouvent du moins qu’il avait la conscience de ce qui est noble, équitable et bon.

Cette grande ambition de la vie future divinisée se traduisait pratiquement dans l’existence des Egyptiens par le soin prodigieux que l’on donnait aux cadavres, et ceci dès la période préhistorique : dans les plus anciens tombeaux, les ossements recueillis gardent les traces d’ingrédients employés pour la conservation des corps[2]. Mais pour

  1. G. Maspero, Mémoire sur quelques Papyrus du Louvre.
  2. E. A. Wallis Budge, The Book of the Dead.