Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 2, Librairie Universelle, 1905.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
272
l’homme et la terre. — grèce

le destin. Ils furent à la fois les messagers et les victimes des mythes de l’Asie : la famille d’Œdipe dut accomplir et subir tous les crimes, autant de rites sacrés préparatoires à l’extinction de leur race, car les Grecs que la légende nous représente sous le nom des « Sept chefs » réussirent à reprendre Thèbes et à la purifier complètement du sang étranger. La colonie phénicienne, non renforcée par de nouveau-venus, devait nécessairement périr, absorbée par les éléments autochtones, et la famille dominatrice était condamnée d’avance, soit à disparaître, soit à s’accommoder au nouveau milieu, en se reniant elle-même.

Peut-être aussi cette famille n’était-elle pas d’origine commerçante et différait-elle à cet égard des autres groupes phéniciens établis dans les ports de la Méditerranée. Peut-être appartenait-elle à un groupe d’émigrants issus des populations agricoles qui vivaient à l’intérieur du pays cananéen, dans les vallées et sur les terrasses des monts. Lorsque les Hébreux eurent occupé partie du pays de Canaan, ils refoulèrent ces agriculteurs vers le littoral, et c’est à la suite de ces migrations forcées que des essaims de colons, cherchant de nouvelles terres, durent émigrer vers les pays lointains pour y trouver, non des entrepôts mais des campagnes de culture analogues à celles qu’ils avaient laissées. La fuite dans une contrée s’était répercutée en invasion dans une autre contrée[1]. C’est ainsi que, après la Réforme, les huguenots persécutés fondèrent tant de communautés nouvelles en Suisse, en Allemagne, en Hollande et en Grande Bretagne.

L’influence que l’Egypte put avoir sur le développement de la civilisation grecque est difficile à déterminer, vu le manque absolu de documents historiques, et l’on ne sait quelle part de réalité il faut attribuer aux légendes fabuleuses des Inachos, des Cecrops, Danaos et autres prétendus fondateurs de colonies égyptiennes sur le sol hellénique. Nous commençons à être renseignés sur les rapports qu’eurent entre elles les populations égéennes et nilotiques : mais c’est à une époque appartenant déjà pleinement à l’histoire grecque, sous la dynastie saïte, il y a vingt-cinq siècles, qu’eurent lieu les emprunts directs de peuple à peuple dont témoignent les découvertes de Flinders Petrie à Naukratis et autres lieux, et que se fit sentir l’influence égyptienne sur la statuaire grecque à ses débuts. Sans doute, il y avait eu précédem-

  1. Fr. Lenormant, Les premières Civilisations, vol. II, p. 422.