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l’homme et la terre. — grèce

dévot de Delphes, dont il paya par de prodigieux trésors les oracles énigmatiques. Enfin, l’Egypte avait accueilli les Grecs, Doriens, Eoliens, Ioniens, tous ensemble, et leur avait donné des villes où se fondaient des temples consacrés aux dieux et aux arts de la patrie ; bien plus, elle avait conquis l’île de Cypre, dont elle éloigna les marchands phéniciens pour appeler à leur place les marins et les traitants hellènes. Grâce à ces comptoirs et à ces colonies, tout le bassin de la Méditerranée tendait à devenir rapidement une « très grande » Grèce, embrassant toutes les autres, celle de l’Hellade proprement dite, et la « Grande », l’Italie méridionale.

Du côté de la Perse, le mouvement de reflux contre l’hellénisme se produisit aussi indirectement : avant de s’attaquer au foyer même de la civilisation grecque, il s’agissait d’en déblayer les abords, de la cerner graduellement : on pouvait tenter de l’étouffer avant de procéder à son extermination, et il est curieux de constater avec quelle suite les représentants successifs de l’autocratie absolue persistèrent dans leur politique à l’égard de la nation libre, et aussi combien la division des Grecs en classes hostiles aida les rois asiates dans leur tentative.

Déjà Cyrus s’était emparé de Sardes, repoussant les Grecs sur le littoral et dans les îles. Son fils Cambyse pénétra dans l’Egypte et jusque dans la Cyrénaïque, ruina les comptoirs de Grecs et leur enleva la fructueuse exploitation de Cypre. Les armées de Darius franchirent ensuite le Bosphore et s’établirent solidement dans la Macédoine et la Thrace, et ce furent des mains grecques qui lui facilitèrent cette invasion en construisant le pont de bateaux sur lequel passèrent les multitudes conduites par le roi des Perses. Les mêmes alliés hellènes l’aidèrent à passer le Danube et à pénétrer dans les plaines de la Scythie, où il se promettait de châtier les hordes nomades qui, un peu plus de cent ans auparavant, avaient ravagé la Médie. Peut-être le « Roi des rois » avait-il conçu le gigantesque projet de traverser avec son armée tout le pays des Scythes et de revenir dans ses royaumes en suivant le littoral du Pont-Euxin, ou bien en faisant le grand tour par le nord du Caucase, le long de la mer Caspienne, chemin que lui avaient frayé les ennemis eux-mêmes dans leur invasion récente. Si tel n’avait pas été son plan de campagne, on ne comprendrait pas qu’en laissant ses troupes ioniennes a la garde du pont de l’Ister, il les eût autorisées à rentrer dans leur patrie s’il n’était