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l’homme et la terre. — grèce

nationale, de leur fraternité de langue, de mœurs et de génie ; mais Athènes eut le tort de s’attribuer une trop forte part de la gloire commune : elle voulut presque avoir triomphé seule, oubliant les Eginètes de Salamine et les Spartiates de Platées. Pendant des siècles elle ne parla plus que de Marathon, même lorsqu’elle fut avilie par la conquête : ainsi que le fait remarquer Beulé, des rhéteurs athéniens osaient, devant le Romain Sylla, se réclamer de Miltiade et de Cynégire.

Du moins la conscience fière de la victoire remportée en des conditions si difficiles et contre un ennemi si puissant donna-t-elle aux Grecs et surtout à leurs représentants par excellence, les Athéniens, une prodigieuse intensité de vie. Chaque soldat de Marathon ou de Salamine comprit sa dignité d’homme, et, rentré dans sa ville, prétendit désormais au respect de tous. Les descendants des grandes familles eurent à compter avec les petites gens de généalogie modeste qui avaient combattu à côté d’eux. Une plus grande égalité s’établit entre les citoyens même au point de vue matériel, car les propriétaires aristocrates avaient perdu leurs récoltes par suite du va-et-vient des guerres, tandis que les combattants des classes inférieures avaient gagné en bien-être, grâce à leur part de butin. Même les plus hauts personnages, tel Aristide, durent céder à cette poussée du peuple d’en bas et réduire singulièrement les prérogatives traditionnelles des grands. Sur sa proposition, les clauses qui excluaient la majorité des citoyens de la participation aux emplois supérieurs furent supprimées : tous les électeurs devinrent éligibles : la forme gouvernementale perdit complètement son caractère aristocratique pour devenir démocratique.

Ce fut la grande époque de la Grèce. Enrichie par le commerce et les tributs, Athènes devint la cité merveilleuse des temples, des théâtres, des statues. Alors se dressa le Parthénon, s’élevèrent les Propylées ; alors Phidias et tant d’autres illustres sculpteurs ciselèrent dans le beau marbre de l’Attique et des îles ces admirables formes humaines et animales qui sont restées pour nous les types mêmes de la beauté. L’artiste, dégagé des préjugés hiératiques, pleinement conscient du superbe équilibre de son corps, heureux de le reproduire dans toute la grâce et la force d’une noble nudité, était arrivé désormais à la parfaite libération de son génie : les images n’avaient plus l’aspect rigide et froid des premières effigies taillées dans le bois. Les vêtements ne descendaient plus en longs plis massifs attachés au