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l’homme et la terre. — îles et rivages helléniques

l’Astarté tyrienne : son culte était accompagné des mêmes fêtes sanglantes que sur le continent voisin. D’après une hypothèse de Maspero, le nom d’Asia que l’antiquité appliquait à l’Asie Mineure, et qu’elle finit par donner à toute une partie du monde, serait peut-être dérivé d’Asi, dénomination usitée sur les monuments égyptiens pour désigner Cypre[1].

La forme et le relief de la contrée ne permettaient guère à la population cypriote de se constituer en une nation compacte et de présenter un front de résistance aux envahisseurs. En réalité Cypre est formée de deux îles distinctes qu’une surrection marine de 100 mètres séparerait complètement. Au nord, une chaîne abrupte, recourbée en cimeterre, se développe sur une succession de pitons et de promontoires dominant la plaine et les flots ; au sud-ouest, clés monts d’accès facile, mais plus élevés, dont la cime suprême fut aussi un Olympe, composent un autre ensemble géographique tout à fait à part. Les fonds intermédiaires, les versants opposés ne pouvaient communiquer facilement les uns avec les autres ; la seule partie de Cypre offrant un caractère d’unité est la large plaine qui se développe de l’est à l’ouest entre les deux massifs et d’une mer à l’autre : c’est la campagne « bienheureuse », riche en moissons, où se pressaient les habitants, menacés du côté des montagnes par les bergers pillards et du côté de la mer par les corsaires et les conquérants ; son antique appellation de Mesorea (Mesaria) ou « Entremonts » est restreinte maintenant à la moitié orientale de la plaine.

La diversité des contrées cypriotes avait pour conséquence la diversité de leurs petits États, royaumes et républiques, souvent en guerre, souvent alliés avec l’étranger et l’invitant même à s’établir dans le pays. Les mines et les forêts étaient, avec les froments, les huiles et le vin, les richesses convoitées par les conquérants de Phénicie, d’Assyrie ou d’Egypte. D’après la légende, les Cypriotes auraient été, comme les Chalybes de l’Asie Mineure, des inventeurs du travail métallurgique : leur héros national Kyniras aurait fabriqué les premiers outils de la forge, l’enclume, les tenailles et le marteau ; c’est lui qui aurait œuvré la cuirasse d’Agamemnon, et son épée serait sortie de la fournaise rhodienne. Quant aux forêts de Cypre, maintenant dévastées,

  1. Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 20 août 1886.