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l’homme et la terre. — îles et rivages helléniques

diverses, vinrent, aux frais du roi et pensionnés par lui, témoigner par leur présence même de la grandeur et de la munificence du souverain. Un président nommé par le roi, et toujours choisi parmi les prêtres, était chargé du culte officiel des Muses et, probablement aussi, des discours pompeux à prononcer devant le maître. Quant aux résidants, ils étaient libres de faire leurs études et de poursuivre, leurs recherches comme il leur convenait : le régime du musée devait être à peu près celui qui se reproduisit au moyen âge dans les monastères de bénédictins. Des collèges se fondèrent autour du Musée pour faire profiter les jeunes étudiants des leçons ou de l’entretien des savants, et la plus grande bibliothèque du monde, à laquelle s’ajouta bientôt un second dépôt de livres, destiné sans doute aux doubles, recueillit avec soin, à l’usage des chercheurs, toutes les œuvres écrites dans les siècles antérieurs en toute langue connue. Ce fut le grand trésor de la pensée humaine.

Cependant le libre génie ne s’accommode guère d’un milieu de bien-être dû à la faveur et limité jalousement par les caprices d’un maître, par des cérémonies formalistes minutieusement réglées. Il est vrai que, dans les premiers temps de son existence, le musée d’Alexandrie reçut parmi ses hôtes des hommes de la plus haute valeur intellectuelle, notamment des poursuivants de la science concrète et positive, anatomistes, géomètres, géographes, astronomes, tels que Herophilos, Euclide, Eratosthènes et autres savants s’occupant de leurs travaux dans l’ignorance ou le dédain du monde extérieur ; mais la plupart des habitants du Musée étaient des flatteurs et des intrigants, poètes de cour, polisseurs de compliments et d’épigrammes. Les parasites eurent bientôt appris que les invités reçus dans la « Gage des Muses » étaient splendidement hébergés et rétribués en échange des leçons qu’ils professaient, ou même en récompense de quelque fadaise élégante. Peu à peu les places du Musée devinrent, pratiquement héréditaires de père en fils, et les cours finirent par n’être plus que des redites ou des thèmes sur l’art d’aduler les puissants. Et, naturellement, c’est la forme, décrépite de l’institution qui trouva plus tard de nombreux imitateurs, tel Hadrien, créateur dans Rome, puis dans Athènes, d’une sorte d’université comme celle d’Alexandrie[1].

  1. G. Botti, Bulletin de la Soc Khédiv. de Géogr., 1898, n° 2, pp. 82, 83.