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l’homme et la terre. — rome

caractère de vérité : l’arrogance du maître superbe, la rancune longtemps impuissante des riches familles opprimées qui n’osent faire appel à la masse du bas peuple, puis un vil attentat et la mort d’une femme outragée, une explosion soudaine de fureur et de vengeance qui réunit dans une même passion de haine les patriciens et les plébéiens, enfin le renversement du despote et l’instauration d’un régime nouveau, constitué par la dictature des hautes familles aristocratiques, tandis que les pauvres retombent dans la servitude accoutumée ; tout cela se présente comme un résumé logique d’événements probables, qui en maint siècle et en mainte contrée se sont déroulés d’une manière analogue : les détails précis et les noms propres transmis par la légende importent peu en pareille matière. C’est bien ainsi d’une façon générale, avec ou sans Lucrèce et Brutus, que se fonda la république Romaine. Elle se maintint cinq cents ans, et, pendant cette longue période de temps, sa force ne fut qu’une seule fois brisée, pendant le « tumulte gaulois ».

Contre les barbares du nord, habitants des plaines d’outre-Apennins, Rome avait été protégée pendant les premiers siècles de son existence par la confédération des Etrusques : les Douze républiques avaient à supporter et à repousser le choc. Mais les ondes de l’histoire se déroulent sur le monde d’une manière inégale ; tandis que certains peuples croissent, d’autres diminuent. Les Rhasena civilisés, auxquels il fallait les jouissances délicates de la vie et qui ne travaillaient plus eux-mêmes, s’entourant de domestiques et d’esclaves, se faisaient aussi servir par des mercenaires ; ils ne combattaient plus dans leurs propres batailles, et d’ailleurs, gouvernés par les prêtres, ils n’avaient plus l’initiative nécessaire pour se relever d’un désastre. D’autre part, les divers peuples gaulois étaient encore dans leur jeunesse guerrière. Refoulés des régions danubiennes par l’arrivée d’autres peuples, ils s’étaient avancés en grandes masses à travers les Alpes, dans les terres padanes et même dans les vallées de l’Apennin. Plus tard, un nouvel ébranlement leur fit franchir l’Arno, puis le Tibre : il y eut des Gaulois dans les monts du Latium, et plus au sud, jusque dans la Campanie, la « campagne » par excellence. Une ville des bords de l’Adriatique, Sena Gallica (Sinigallia), porte encore leur nom. Durant une quarantaine d’années, Rome vaincue eut à subir comme maîtres ou suzerains ces étrangers, batailleurs indisciplinés,