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journal de la commune

En me disant : — Ce crime était leur projectile.
Je le trouvais infâme et je le trouve utile ;
Je m’en sers, et je frappe, ayant été frappé. —
Non, l’espoir de me voir petit sera trompé.
Quoi ! je serais sophiste, ayant été prophète !
Mon triomphe ne peut renier ma défaite ;
J’entends rester le même, ayant beaucoup vécu,
Et qu’en moi le vainqueur soit fidèle au vaincu.
Non, je n’ai pas besoin, Dieu, que tu m’avertisses :
Pas plus que deux soleils, je ne vois deux justices ;
Nos ennemis tombés sont là ; leur liberté
Et la nôtre, ô vainqueurs, c’est la même clarté.
En éloignant leurs droits, nous éteignons nos astres.
Je veux, si je ne puis, après tant de désastres,
Faire du bien, du moins ne pas faire de mal.

La chimère est aux rois, le peuple a l’idéal.
Quoi ! bannir celui-ci, jeter l’autre aux bastilles !
Jamais ! Quoi ! déclarer que les prisons, les grilles,
Les barreaux, les verroux, et l’exil ténébreux
Ayant été mauvais pour nous, sont bons pour eux !
Non, je n’ôterai, moi, la patrie à personne.
Un reste d’ouragan dans mes cheveux frissonne ;
On comprendra qu’ancien banni, je ne veux pas
Faire en dehors du juste et de l’honnête un pas ;
J’ai payé de vingt ans d’exil ce droit austère
D’opposer aux fureurs un refus solitaire
Et de fermer mon âme aux aveugles courroux ;
Si je vois les cachots sinistres, les verrous,
Les chaînes menacer mon ennemi, je l’aime,
Et je donne un asile à mon précepteur même :
Ce qui fait qu’il est bon d’avoir été proscrit.
Je sauverais Judas, si j’étais Jésus-Christ.

Je ne prendrai jamais ma part d’une vengeance.
Trop de punition pousse à trop d’indulgence,
Et je m’attendrirais sur Cain torturé.
Non, je n’opprime pas ! jamais je ne tuerai !
Jamais, ô liberté, devant ce que je brise.
On ne te verra faire un signe de surprise.

Peuple, pour te servir, en ce siècle fatal,
Je veux bien renoncer à tout, au sol natal,
À ma maison d’enfance, à mon nid, à mes tombes,
Au bleu ciel de France où volent les colombes,