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journal de la commune

tout l’argent, tous les papiers, documents, etc., à l’abri des pillards de Montmartre et du faubourg St-Antoine. Sur des ordres transmis secrètement de Versailles, les fonctionnaires, administrateurs et employés de tout grade ont dû déménager en hâte et se transporter de leur personne avec leur outillage administratif, et surtout avec leurs caisses, au siège de l’ordre légal. Pendant deux nuits et une journée, ç’a été dans toutes les Mairies et administrations diverses, à la douane, aux octrois, au timbre, une débâcle inouïe ; tous les hémorroïdaires de l’Etat, pâles et bouleversés, suant la peur et l’antique poussière de trente années de bons et loyaux services à tous les systèmes et à tous les régimes, allaient et venaient, ahuris, effarés, emportant leurs registres in-folios, leurs bibelots divers et soupirant de gros soupirs en jetant un long et douloureux regard sur le large fauteuil de cuir. Dans tous ces bureaux, dans toutes ces cervelles le bouleversement est déplorable. Les Prussiens envahissant Paris, bombardant et massacrant, s’installant dans nos maisons, le cataclysme eût semblé moindre, la catastrophe moins douloureuse. En effet, dans les villes prises, de vive force ou non, par des uhlans ou les cuirassiers blancs du prince de Bismarck, les fonctionnaires étaient restés immuables sur leurs chaises rembourrées, comme jadis les sénateurs romains sur leurs chaises curules lorsque les Gaulois avançaient furieux et terribles. Le gouvernement des Trochu et des Thiers, des Favre et des Fourrichon n’avait point voulu que les administrations se débandassent sous aucun prétexte, elles étaient censées se mouvoir dans une atmosphère supérieure à celles des agitations politiques et nationales. Nous avons eu un préfet, celui de Nancy, qui, dans un département à demi-envahi, envoyait ses ordres, ici, au nom de l’Empereur Napoléon, là, au nom du roi Guillaume. Préfet idéal, digne collègue du préfet de Bordeaux, un des grands officiers de l’Empire, qui voulut présider lui-même au renversement par la foule de la statue impériale ; lui-même voulut donner le signal des insultes et vociférations, du bris à coups de hache, de marteau et de massue, afin que l’incident se passât en toute décence, avec les convenances désirables. Que les Prussiens s’emparent de l’Alsace, de la Lorraine, de la Champagne et de la Normandie, ce n’est pas une raison pour