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journal de la commune

concert avec le cercle Cavour et les gros bonnets ministériels :

« Sans doute le spectacle offert aujourd’hui par la France est très affligeant, parce qu’il déplaît toujours de voir une grande nation périr misérablement. Toutefois, nous nous abstiendrons de prononcer d’inutiles paroles de compassion qui, pour le dire avec franchise, ne correspondraient pas à notre sentiment intime. Nous devons employer toutes nos forces dans la décadence de la France pour que sa place en Europe soit en grande partie occupée par nous. »

De même que les professeurs d’esthétique allemande ont décidé qu’il n’y avait jamais eu de poésie française, les feuilletonistes italiens, nous dit M. Erdan, ont résolu de mettre à bas toute littérature théâtrale française, leurs effroyables inepties devant enfin prendre le haut du pavé. Pour commencer, la cour du Quirinal met en vogue les proverbes d’un capitaine, officier d’ordonnance du roi. « un altro Alfredo de Mousset ».

Soit, puisse votre Alfred de Musset ne pas vous faire autant de mal que nous en a fait le nôtre !

D’un œil sec et froid, nous contemplons nos désastres ; nous constatons sans trop de dépit tout le mépris que notre malheur inspire. Nous ne comptons plus les coups de pierres, les insultes et les poignées de boue qu’on nous jette de par ci, de par là. Avec une mélancolie sereine, avec une tristesse résolue, nous entrons dans le troisième et dernier acte de la nouvelle Révolution Française. Il nous semble que nous sommes prêts, prêts pour la Mort, prêts même pour la Victoire !

Trois à quatre jours nous séparent de la mémorable journée du 18 mars. Un coup de vent soudain a gonflé les voiles du vaisseau de la République ; les mâts ont craqué mais ils tiennent bon encore, et nous voilà lancés dans une mer inconnue, à travers des archipels ignorés, ne sachant trop où s’arrêtera notre course impétueuse, contre un rocher ou dans un port de salut. La tempête hurle, nous plongeons dans l’abîme, puis nous remontons au sommet des vagues, mais notre proue fend en sifflant les flots écumeux. Allons toujours, allons de l’avant. C’est dans l’orage qu’on se fait homme, c’est en face des jets de foudre qu’on se sent comme une fontaine jaillissante de vie et de volonté.