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journal de la commune

Samedi 20 mai.

C’en est fait, c’en est fait : l’Assemblée souveraine a donné sa ratification au traité. La France a donné le consentement définitif à son morcellement et à son déplacement. La coupe de honte est bue, nous en avons avalé les lies, toute notre vie, nous aurons plein l’estomac de la potion nauséeuse. Nous sommes désormais en paix avec l’Allemagne, peut-être même les colonels prussiens sont-ils censés nos amis, et nous n’avons plus même le droit d’être ennemis de M. de Bismarck. Il n’est plus permis de se haïr et de se massacrer qu’entre Français. Ce qui nous désarme vis à vis de la Prusse, c’est le remords amer. Nous avons été frappés et refrappés, nous avons été écrasés et encore écrasés. Plus d’une fois nous avons cru que nous étions châtiés plus que de raison ; nous avions pensé que nous pourrions enfin nous relever de notre boue ensanglantée et nous redresser sous l’insulte. C’était encore un reste de fatuité, encore un débris de notre incorrigible vanité. Avouons-le : l’Empire du Plébiscite méritait les désastres de Metz et Sedan, le Gouvernement du 4 septembre méritait le Traité provisoire de Versailles, notre Assemblée méritait le Traité définitif qu’elle vient de signer. Tant vaut le maître, tant le valet. La masse plébiscitaire était digne de l’Empire ; la pseudo-république du 4 septembre n’a pas été trop déparée par ceux qui la dirigeaient ; et il est impossible de le nier : la grande majorité de l’Assemblée n’est autre chose que la grande majorité de la France.

Tout de même, nous sommes une minorité qui protestons et tenons bon malgré tout ; cette minorité, c’est Paris. Ça nous est une joie douloureuse qu’on nous mitraille et qu’on nous bombarde, ça nous est une preuve que le cœur de la France ne s’est pas encore ossifié, que son cerveau n’est pas encore ramolli, ça nous est une joie douloureuse comme celles des convulsionnaires de Saint-Médard qui criaient : Plus fort ! plus fort encore ! quand on leur assénait une barre fer dans le ventre, une joie douloureuse comme celle du pauvre monomane qui se racle les chairs avec des tessons de verre et se coupe la gorge en criant de bonheur.

Une Assemblée française eût pu s’épancher en un cri du