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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

pour qu’on y puisse tailler en plein des augmentations de salaire. Quand un fabricant travaille en grand, et, à plus forte raison, quand il travaille en petit, le bénéfice net se compose peut-être de la différence de 10 centimes par kilogramme entre le prix de vente et le prix de revient. S’il fallait payer quelques centimes de plus le kilogramme de matière première ; si, par l’augmentation des salaires dans toutes les industries, il fallait payer 1 franc de plus pour la tonne de houille, 2 francs de plus pour la tonne de fer ; s’il fallait payer davantage aux camionneurs, et aux chemins de fer et aux courtiers, la fabrication serait en perte au lieu d’être en bénéfice.

» Les demandes étant déraisonnables, les événements en font justice, et les ouvriers sont écrasés par la force des choses plus encore que par celle de leurs maîtres. Les grèves amènent d’immenses désastres sur les coupables ; elles réduisent des milliers de familles à une misère atroce, et font perdre en salaires des millions de livres sterling ; elles font perdre en bénéfices d’autres millions qui auraient été employés derechef à payer de nouveaux travaux. En s’insurgeant contre le taux de leurs salaires, les prolétaires s’insurgent contre leur estomac, et force doit rester au capital, au fabricant et à la faim ! »

Et Master Punch égaye de son esprit les dissertations du Times ; il fait de la science charivarique au profit du gros public. Tantôt, c’est un ivrogne rentrant en chancelant dans son taudis : il regarde d’un œil stupide sa femme éplorée, ses enfants dégnenillés, ses filles laides comme le péché. Tel est le home, le foyer de l’unioniste. — Tantôt c’est un misérable au ventre concave implorant la pitié d’un ventre convexe. Une légende explique aux intelligences obtuses : l’homme maigre, c’est le méchant travailleur qui fait grève, et cette espèce de monsieur gros et gras, charnu, dru et dodu, c’est le sujet rangé, moral et soumis au chef d’usine. Telles sont les significations qu’on a presque réussi à inculquer aux mots de grèves et de Trades’Unions ; elles ne sont pas exactes, mais, en revanche, elles sont très-simples et généralement admises.


La question ainsi posée, ne peut pas aboutir. Au reproche de brutalité qu’on lui a maintes fois adressé, la classe ouvrière a rétorqué par le mot de perversité. C’est ainsi que l’on voit deux enfants se disputer, l’un criant à l’autre ; « Méchant, va ! » et le second répliquant : « Méchant toi-même ! » — Ah ! combien notre société, dite civilisée, est loin d’avoir réalisé l’harmonie entre tous les intérêts ! — Les belligérants ressentent plus que de raison leurs torts réciproques ; s’exagérant l’hostilité qui règne entre l’acheteur et le vendeur, ils passent légèrement sur les conséquences redoutables d’un conflit. — Le moraliste doit mettre encore en ligne de compte le fatal entraînement de la lutte qui, entreprise pour un motif d’intérêt prétendu, continue pour l’assouvissement de l’orgueil, et finit par une ruine commune.