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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

anglaise. Ce nobleman a « lecturé » le public au sujet de la Coopération qu’il a très-courtoisement patronnée. Tel autre grand seigneur a fait écrire au Cooperator, par son révérend chapelain, une lettre quasi-officielle pour certifier que l’aristocratie voyait avec plaisir se développer un système qu’elle croyait essentiellement favorable aux intérêts des propriétaires.

L’Association ayant si bien réussi aux consommateurs, il était tout naturel de la conseiller aux producteurs. Mais quand on se mit à l’œuvre, on s’aperçut que les conditions faites aux uns et aux autres étaient bien différentes. Les « voix autorisées » et les « hommes sérieux » se sont exprimés sur l’Association entre producteurs avec d’autant plus de blâme ou de réserve qu’ils avaient décerné plus d’éloges à l’Association entre consommateurs. S’il ne s’agissait que de malveillances ou d’incrédulités, le mal ne serait pas grave ; mais les difficultés ont été telles, que la discorde s’est glissée dans le camp des Coopérateurs eux-mêmes.

Les Stores, avons-nous vu, achètent et vendent comptant. Pas de frais de réclame, de publicité, ni d’étalage. Vendeurs, acheteurs et intermédiaires, étant tous intéressés au succès de l’entreprise, les dépenses d’exploitation sont réduites au strict minimum ; les seules pertes subies sont les détériorations de certaines marchandises, et la vente en temps de baisse de quelques denrées achetées en temps de hausse. La consommation se renouvelant incessamment, le chiffre des affaires faites pendant l’année est, en général, huit fois plus considérable que celui du capital.

Appliqué aux manufactures, le nouveau système ne peut pas être d’un fonctionnement aussi simple et aussi avantageux. À la réunion des membres de l’Association pour l’avancement des sciences sociales, tenue à Glasgow en septembre 1860, sir James Emerson Tennent a présenté les intéressantes remarques que voici :

« Le succès des Stores est palpable ; les causes de leur réussite sont également manifestes. Une association qui est son propre consommateur, en même temps que son fournisseur et son distributeur, possède, pour peu qu’elle soit bien dirigée, tous les éléments de profit et de sécurité.

Mais les ouvriers, continue-t-il, se sont lancés dans une autre entreprise dont l’issue est, à mon avis, fort incertaine, la nouvelle opération étant, par la force même des choses, en dehors de leur contrôle et de leur direction. Aussi longtemps que les affaires sont limitées à la vente d’objets de première nécessité incessamment renouvelés que les Coopérateurs s’achètent à eux-mêmes, l’approvisionnement se règle sur des besoins connus et immédiats. Il n’en est plus ainsi dès qu’il s’agit d’usines et de fabriques, lesquelles, ne consommant pas elles-mêmes leurs propres produits, sont soumises à tous les hasards de la concurrence et du marché. Les produits manufacturés, vêtements et autres, sont d’une consommation qui est relativement beaucoup plus lente