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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

le mouvement héroïque des ouvriers de Paris venant mettre trois mois de misère au service de la République. Certes, nous ne sommes pas les admirateurs quand même de l’Angleterre, cette vivante énigme : sa froide cruauté à l’égard des Irlandais, des Chinois, des Indous, nous a souvent frappés d’horreur, et cependant, nous tressaillons d’émotion en songeant à maint acte de grandeur et d’héroïsme dont elle nous a rendus témoins.

C’est le Birkenhead, ce navire sombrant avec 700 soldats à bord. Une irrésistible voie d’eau s’était déclarée. Ou embarqua dans les chaloupes les femmes et les enfante avec quelques matelote-choisis, les hommes se rangèrent par escouades et par compagnies, puis ils se recueillirent pour mourir. Les uns priaient à voix basse, d’autres, tranquilles et forts, se faisaient leurs adieux. Le ciel était pur, le soleil était splendide un silence majestueux et terrible planait sur l’océan. Débouté ! sans mot dire, ils regardaient l’eau monter ; l’eau les atteignit ; l’eau les submergea ; le navire s’engouffra dans l’abîme, puis les flots clapotant se rejoignirent en écume blanche, et des cercles ondulèrent au loin dans la plaine bleue. — Des marins du Vengeur préférèrent couler à fond plutôt que d’amener le drapeau tricolore, et, lâchant une dernière bordée, ils disparurent dans un tourbillon de feu, de vagues et de fumée, au bruit du canon retentissant et au cri suprême : Vive la République ! Les marins du Vengeur furent grands, dans une grande cause ; cependant la mort silencieuse et résignée des marins du Birkenhead témoigne peut-être d’une âme mieux trempée, et d’un héroïsme plus rare encore.

Et les mineurs de New-Hartley ! Un éboulement les avait ensevelis dans les entrailles de la terre ; ils n’avaient plus d’air, ils étouffaient, les lampes s’éteignaient, le grisou les envahissait. Quand on put pénétrer enfin dans la lugubre caverne, on trouva deux cents cadavres gisant sur le sol : les parents, les amis s’étaient groupés ensemble, plusieurs se tenaient embrassés, d’autres se tenaient encore la main. Quelques lignes écrites au crayon apprirent que jusqu’au dernier moment on s’était exhorté, on avait prié à haute voix et que dans ces affreuses ténèbres on avait chanté des cantiques !

Donc à Preston, durant neuf mois et pendant un terrible hiver, dix-sept mille ouvriers, soit avec leurs familles, soixante à soixante-dix mille personnes, ont souffert la famine. C’était une terrible armée ; les plus terribles à voir étaient les plus faibles, ceux qui marchaient pâles et exténués, ceux qui souffraient et ne disaient mot. — Chose extraordinaire ! et qui montre combien l’ouvrier s’est développé et combien les masses populaires ont appris à se contenir : ces multitudes, dans lesquelles fermentaient à la fois tant de faim et tant d’oisiveté, tant de colères, tant de forces matérielles et tant de désespoir, ne commirent