Page:Reclus - La Peine de mort.djvu/4

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la vengeance sans mesure, aussi terrible que peut l’inspirer la haine, ou la vengeance réglée par une sorte de justice sommaire, c’est-à-dire la peine du talion : « Dent pour dent, œil pour œil, tête pour tête ». Dès que la famille fut constituée, elle se substitua à l’individu pour exercer la vengeance ou la vendetta. Elle exige le prix du sang : chaque blessure est payée par une autre blessure, chaque mort par une autre mort, et c’est ainsi que les haines et les guerres s’éternisent. C’était l’état d’une grande partie de l’Europe au moyen âge, c’était au dernier siècle celui de l’Albanie, du Caucase et de beaucoup d’autres pays.

Cependant un peu d’ordre s’est introduit dans les guerres perpétuelles, grâce au rachat. Les individus ou les familles, pouvaient d’ordinaire se racheter, et ce genre de transaction était fixé par la coutume. Tant de bœufs, de moutons ou de chèvres, tant d’écus sonnants ou d’arpents de terrain étaient fixés pour le rachat du sang. Le condamné pouvait aussi se racheter en se faisant adopter par une autre famille, quelquefois même par celle qu’il avait offensée ; il pouvait aussi devenir libre par une action d’éclat ; enfin, il pouvait tomber trop bas pour qu’on daignât le punir. Il lui suffisait de se cacher derrière une femme et désormais il était libre, trop vil pour qu’on voulût le tuer, mais plus malheureux que s’il eût été couvert de blessures. Il vivait, mais sa vie était pire que la mort.


* * *


La loi du talion de famille à famille ne pouvait évidemment pas se maintenir dans les grands États centralisés, monarchies, aristocraties ou républiques. Là c’est la société, représentée par son gouvernement, roi, conseils ou magistratures, qui se charge de la vengeance ou de la vindicte, comme on dit en langage de jurisprudence. Mais l’histoire nous prouve qu’en accaparant le droit de punir au nom de tous, l’État, caste ou roi, s’est occupé surtout de venger ses injures particulières, et nous savons avec