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le pain

terre entière ; et, prenant un disque légèrement creusé, une assiette qu’ils appellent le monde-mandala, ils l’emplissent à plusieurs fois de blé et le lancent dans l’air pour bien faire comprendre au Très-Haut sur son trône ce que l’on attend de lui.

« Si vous allez habiter une maison nouvelle, trouvez-y pain nouveau. Faites mieux, passez le seuil en portant une miche devant vous à bras tendus.

« Ayez toujours pain sur planche. S’il survient quelque gros accident, si la maison prend feu ou la grange voisine, pensez d’abord au pain. Rien de tel pour assurer la jugeote que de la fixer tout d’abord sur le « don de Dieu ».

« Au repas de Noël, laissez jusqu’au lendemain des restes de tous plats sur la table. En fait de pain, plutôt qu’un morceau, laissez miche entière. Par la vertu de continuation et de multiplication que déverse Dieu en cet heureux jour, vous et votre famille ne manquerez jusqu’à l’autre Noël. Allez à la grand’messe avec du pain, avec du blé plein vos poches. Ce blé sera bénit et vous le sèmerez, ce pain sera bénit et vous le mangerez : du pain et du blé, vous aurez plein profit et l’entier rendement. »

En cette même nuit, on mange à gogo, on boit tout son saoûl. Le plancher est jonché de paille que les pieds des joyeux banqueteurs remuent exprès de moment à autre. Et du paillis, bon paysan tresse des tortillons qu’il ira nouer, grave et muet, autour des arbres du verger ; aux branches il appendra guirlandes, dans les écorces il piquera chaumes et paillettes. Pour faire quoi ? Pour que le feu du ciel ne touche pas les fruitants et pour qu’ils donnent beaucoup dans l’année.

Parallèlement à ces croyances de notre Occident, les Aïnos velus du Japon torchent des chiffons de couleur dans une botte de paille qu’ils fichent sur une perche. Nous prendrions ce mannequin pour un épouvantail aux oiseaux, mais eux, tout naïvement, le présentent comme leur Dieu de la richesse, richesse bien modeste. À fidèles pauvres, Dieu indigent. Ils attachent le marmouset au toit de leur cabane, le hissent en haut du misérable grenier.

Il en est de la fécondité de la femme comme de celle de la Terre. Il n’est peuple agricole qui, dans les cérémonies nuptiales, ne prodigue blé, orge, avoine ou leurs équivalents, tels que riz et maïs.