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le pain

Nous n’oserions qualifier d’honnête certain moyen de guérir un abcès.

Faites goutter le pus sur un morceau de pain dont vous ferez ensuite largesse aux poules du voisin. Les poules s’arrangeront de l’abcès comme elles l’entendront et, par aventure, le transmettront au tiers et au quart qui des œufs mangeront.

On avait cru pouvoir exempter le pain de la prohibition générale de ramasser autrement qu’avec de minutieuses précautions, et à bon escient, un objet quelconque trouvé sur la route ; on avait affirmé, un peu à la légère, que jamais, jamais pain n’est contaminé par la diablerie, jamais saturé d’influences pernicieuses. Le cas de transmission qui précède montre assez qu’il ne faut pas avoir de confiance aveugle, même envers le pain. Ajoutons qu’il paraît établi, parmi les professeurs ès-sciences magiques, qu’il faut, avec un couteau, parer le chicton de pain dans lequel un autre à déjà mordu, qu’il faut enlever les traces de ses dents… « Pour plus de propreté ? »

Vous n’y êtes pas. La propreté n’a rien à voir en pareille matière. Si celui qui trouve le pain mord à même, sans prendre la précaution de rogner le mordu ou de souffler dessus, il lui arrivera tôt ou tard le désagrément de se colleter et de se prendre aux cheveux avec le premier possesseur du pain. Pourquoi ? Parce que la rencontre de dents présage rixe violente. Il est vrai qu’après tout celui qui donne le dernier coup de dent n’a pas besoin de prendre grande précaution : il est en avantage marqué sur son antagoniste, l’issue du combat ne pourrait manquer de lui être favorable.

Pour faire passer le mal aux dents, on se met sur la tête une assiette pleine d’avoine et, s’agenouillant à la margelle d’un puits, on marmotte un charme :

Mal aux dents, mal aux dents,
Plonge au puits de vin,
Plonge à la font de bière,
Plonge, plonge dedans !

L’homme ensuite se relève brusquement, jette l’assiette, en s’écriant :