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VIII

OFFRANDE DU PAIN
aux Morts, aux Génies et aux Dieux


Nourrir les morts, et spécialement les mânes des ancêtres, passait dans l’antiquité pour l’acte pieux par excellence. Car il était, il est toujours de croyance vulgaire que des esprits nous environnent en tous lieux, nous entourent à tous moments. Les bois, les pâtis, les landes grouillent sous leur surface d’innombrables habitants, et les âmes des ancêtres pullulent sous les mottes de la terre qui est transmise de père en fils. Elles essaiment dans l’ombraie que traverse le ruisseau murmurant ; elles foisonnent dans la feuillée au-dessus de la grange, dans le puits de la cour, aux étables, écuries, parcs et poulaillers, dans les coins et recoins du grenier, sur l’auvent de la chaumine. Les cendres des aïeux se mêlent à celles du foyer, ou elles se nourrissent tant bien que mal du fumet des viandes, des odeurs de la marmite et du chaudron. Ce monde passe son temps à avoir faim tout comme les vivants. Ce n’est point que ces ombres impalpables réclament une nourriture abondante — mais comme elles sont nombreuses ! Les nuages de moustiques, les épaisses volées d’éphémères, les mouches bourdonnant dans les cuisines du Midi donnent quelque idée de leur multitude. Nul aliment ne leur est plus agréable que celui qui leur est servi tout exprès, aucun ne leur agrée davantage que le pain, rien ne les nourrit comme les miettes qu’on leur offre avec des paroles bienveillantes.

« Balaie tes miettes dans le foyer pour les pauvres âmes », prescrivent les bonnes grand’meres. « Les pauvres âmes pleurent de chagrin, cela leur fait un mal qu’on ne peut dire quand elles voient qu’on gaspille les miettes sans profit pour personne, qu’on les salit, qu’on les écrase sous les pieds. Il est