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le pain

pieux de recueillir les miettes qui, d’un dimanche à l’autre, tombent autour des assiettes, et de les jeter au feu le samedi soir. »

« Il n’est pas bien de ramasser les tailles de soupe qui tombent par accident de la cuillère à potage ; il faut les laisser aux pauvres âmes qui en font leurs choux gras. »

On serait impardonnable de ne pas se souvenir des âmes à la Toussaint, jour qui leur est spécialement consacré. Celles qui ne cohabitent pas avec les hommes désertent alors en foule leurs sombres demeures. Même celles qu’emprisonne le Purgatoire sont alors mises dehors. Elles affluent dans les maisons amies, ou il est de règle de leur servir un repas composé de trois, six ou neuf plats. Les plus pauvres prennent sur leur misère pour leur faire l’aumône d’un peu de farine. En Angleterre, on leur cuisait des gâteaux qu’on distribuait au dehors, comme ceux que les Grecs et Romains exposaient aux trivies et carrefours. En Pologne, on leur dispose des tortillons aux quatre coins des tombes et du cimetière. Au jour des Morts, les Tchouvaches allument autant de chandelles qu’il y a de morts respectés dans la famille. Le fils aîné les appelle à haute voix, leur offre du pain, en mange le premier morceau, le dernier appartient au chien qui assiste à la cérémonie. Les Tchérémisses — pauvres gens ! — font une fête quand ils cuisent le pain, et se reprocheraient fort de n’en apporter les prémices sur les tombes de leurs proches.

En plusieurs endroits, les gens se couchent de meilleure heure pour mettre plus à leur aise les âmes qui vont et viennent, inspectent, flairent les coins, parfouillent les recoins ; elles se mettent au courant des affaires du monde ; quelques malheureuses pansent leurs blessures avec l’huile des lampes, d’autres avec le suif des chandelles. Que les proches prospèrent et ne les aient point oubliées en cette fête de famille leur est à soulas et réconfort.

Pareillement en Chine, la veille du solstice d’hiver, on a coutume de faire cuire des boulettes de riz, grosses comme noisettes, qu’on dépose sur l’autel domestique. Après que les ancêtres en ont pris ce qui leur a convenu — l’odeur peut-être — la parenté dévotement s’assemble, consomme en partie ces croquignoles, car les morts n’ont consommé que la substance immatérielle du pain, que le bouquet du vin, laissant la partie grossière et tangible des aliments sans y toucher. Le reste des