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le pain

L’Alfwissmal donne à croire que, déjà, lors de sa rédaction, la cérémonie des funérailles consistait avant tout pour le public en une distribution de blé. Robert Wace raconte que le duc normand Richard fit construire à Fécamp une abbaye où il plaça, sous une gouttière, son sarcophage que chaque vendredi on emplissait de froment pour le distribuer aux pauvres, ingénieux moyen de donner au souverain juge la mesure de ses bienfaits. Tel qui n’en pouvait faire autant, ne disposant pas comme le duc des richesses d’une grande province, ordonnait de verser une ou plusieurs charretées de grain sur sa tombe jusqu’à ce qu’elle disparût sous le monceau, qui était ensuite distribué en aumônes. Actuellement, dans l’Allemagne méridionale catholique, il n’est contre les migraines persistantes de meilleur remède que celui de se faire fabriquer par le potier une sorte de calebasse ayant figure humaine, qu’on emplit d’orge pour en faire hommage à quelque saint ou madone. Dans les cantons de l’Eifel, les pauvres emplissent de froment la coiffe de l’enfant malade ; les riches font plus, ils donnent en blé le poids de l’enfant et même de l’enfant dans son berceau. Chaque année, les dévots bavarois versent des charges de maïs sur le crucifix devant lequel ils prient pour les « pauvres âmes » : ils le recouvrent entièrement et le maïs passe en messes. L’acte méritoire est accompli le vendredi-saint, jour auquel Jésus, attendri par ses propres douleurs, se montre plus compatissant.

En maints endroits, l’honneur rendu aux morts s’évalue d’une façon très exacte et même se pèse au kilogramme. Plus il est distribué à l’enterrement de livres de pain, plus le défunt charitable, au moins après décès, a chance d’aller droit au ciel. Le plus beau moment des obsèques est celui auquel d’abondantes victuailles sont reparties entre les indigents de la paroisse et des environs. Plus d’une famille se ruine à cette occasion. Nombreux sont les Prudhomme dont l’enterrement est le plus beau jour de la vie, et qui se consolent de la mine de leurs héritiers et même d’une existence misérable et parcimonieuse par l’anticipation des glorieuses funérailles qui les attendent.

À ce propos, mentionnons la distinction qu’on a faite entre les offrandes mortuaires, selon qu’elles consistent en blé ou en pains et gâteaux. On a cru pouvoir affirmer a priori que les offrandes de blé ne pouvaient manquer d’être les plus