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le pain

anciennes, puisqu’elles marquaient plus de simplicité. Mais cette simplicité n’est, le plus souvent, qu’apparente. Il est plus expédient de considérer l’usage que la nature de l’offrande. Le pain, les galettes pouvaient être mangés immédiatement, et il ne tenait qu’au défunt d’en tirer parti tout de suite. Quant au blé à l’état brut, sa distribution marquait plus de largesse, des approvisionnements plus abondants, et sa conservation dans les tombes a eu, le plus souvent, une signification lithurgique et symbolique dont il sera parlé ci-après. Ce n’est pas à dire que l’une et l’autre conception ne se confondent pas souvent, et que les deux usages n’aient pas existé simultanément. Ainsi les momies d’Égypte, aux mains desquelles on a trouvé des semences, ont parfois des pains enveloppés dans leurs bandages ; on en voit des figurines recevant des offrandes, tantôt en pain, tantôt en gerbes, avec des inscriptions semblables à celle-ci : « Certes, vous serez bien aimés de l’Être Bon, vous aurez votre part des pains présentés à Maout, Amun et Khus, lesquels vous introduiront dans la Grande Région du Pays de Vérité ! »

La transition était insensible des offrandes mortuaires aux œuvres de pure charité, elle n’est pas mieux tranchée entre les offrandes qui sont faites aux morts et celles qui s’adressent aux dieux et génies de tout nom et de tout habitat. En effet, comment distinguer entre ces nombreux esprits, qui ont tous, ou à peu près, commencé par être des hommes ayant chair et vie ?

Les drudes et incubes qui, sous forme de cauchemar, s’abattent sur les dormeurs, ne sont pas moins friands de gâteaux et de farine que les divinités du ciel et des éléments ; l’homme qu’ils tourmentent se fait parfois relâcher sur la promesse de leur donner un pain.

Chaque nuit, dans les paysannières bien ordonnées, on prend grand soin d’envelopper le pain dans la nappe ; les ménagères sensées vous diront que c’est pour l’empêcher de prendre la poussière, et les niaises parce qu’il a besoin de dormir, lui aussi. Mais ces raisons ne sont pas topiques ; les fellahs d’Égypte savent mieux : ils recouvrent le pain au nom d’Allah le Miséricordieux pour empêcher les djins d’en absorber la saveur et la substance.

Mainte paysanne ne se déciderait pas à pétrir avant d’avoir jeté derrière elle une poignée de farine au four. Elle ne manquerait pas, après avoir terminé, de façonner avec la dernière