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le pain

ou à telle autre partie du corps une incision dans laquelle on introduit une hostie, et sitôt la blessure refermée, avec Dieu greffé au corps, on se rit des fusils et pistolets, on traverse des ouragans de mitraille sans être touché. Mais à défaut d’hostie, les chasseurs du Tyrol se rendent invulnérables avec du pain trempé dans le sang d’un agneau blanc, pauvre succédané de l’Agneau sans tâche qui ôte les péchés du Monde. La farine a été moulue pendant une messe, l’agneau doit être égorgé pendant une autre messe, le pain ou le gâteau doit avoir été cuit pendant la messe. Le tout est une contrefaçon de l’hostie, comme le café qu’on remplace par de la chicorée ou du pain charbonné.

Un autre secret pour se faire respecter par les balles, boulets et bayonnettes est de faire goutter de son sang sur un morceau de pain que l’on mange aussitôt, mais le moyen n’est bon que pour vingt-quatre heures. Quel dommage que le criminel pékinois, tout frais décapité, dont le sang recueilli sur du pain guérit les anémiques, phtisiques et chlorotiques, comme nous venons de le voir, quel dommage qu’il n’ait pas eu connaissance de la recette venue d’Europe, et qu’il n’ait pas songé à éprouver par lui-même les vertus de son propre sang ! En effet, tous les lithurgistes romains sont d’accord que le prêtre peut se communier lui-même toutes et quantes fois il lui prend envie. Ajoutons que, d’après les recherches du Dr Anselmier, les animaux qu’on affame systématiquement vivent une moitié de temps en plus quand, d’intervalle en intervalle, on leur fait une petite saignée et qu’on leur donne à boire leur propre sang. Persuadés qu’il n’est aux bêtes de meilleur remède, les bergers de Tarn saignent à l’oreille leurs brebis malades, et leur font couler le sang dans leurs yeux, croyant que, tout au moins, elles en auront la vue éclaircie.

Dans la curieuse recette ci-dessus du pain qu’ils mangent avec leur sang, nos magiciens rustiques cuident amalgamer, par une combinaison ingénieuse et une déduction subtile, les vertus hygiéniques du pain et du sang que l’Église leur a enseignés être de même nature, leur donnant exemple de transsubstancier le pain en sang, le sang en pain. Celles du sang, éternelles chez le Fils de Dieu, ne sont que transitoires chez l’homme et, par conséquent, ne peuvent donner qu’une invulnérabilité passagère, tandis que l’hostie la donne pour une durée indéfinie. En absorbant du pain qui est imprégné dans son