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le pain

donner une grande hostie ou plusieurs hosties à un seul communiant, serait-ce pour satisfaire sa dévotion. » Mais les crocheteurs de sanctuaires, filous de divinité, les sorciers qui détournent les amulettes sacrées de leur destination primitive pour des usages profanes et même impies, tenaient à multiplier celles qu’ils avaient dérobées à grand’peine, ils s’ingéniaient à augmenter leur volume, leur efficacité, leur rendement.

La Cuisine diabolique donne comme une de ses recettes de coller à un arbre l’hostie subrepticement obtenue et de la traverser d’une balle de fusil. Le bon Dieu du pain sacré laisse alors tomber trois gouttes de sang qu’il faut recueillir sur un linge blanc. Hostie et linge sont brûlés dans un pot chauffé à rouge et on mêle les cendres au plomb dans lequel on fondra des balles qui ne manqueront jamais leur but. D’autres préfèrent attacher l’hostie au bout d’un fil, jusqu’à ce que le précieux sang goutte sur un pain dont chaque miette vaudra l’hostie primitive.

— Mais si l’hostie se refuse absolument à donner du sang ?

— Dame ! Cela arrive quelquefois ; il faut alors s’en prendre au prêtre, qui a manqué quelques mots dans la formule de consécration, ou qui a raté son sacrement de quelque autre manière.

Ce n’est point pour les novices qu’a été imagine le procédé ci-après : la nuit de Noël ou du Nouvel An, le chasseur, caché dans un coin obscur de l’Église, attend que la clochette de la messe vienne à résonner ; il vise alors avec son fusil chargé le centre de l’ostensoir devant lequel tous s’agenouillent. Il ne lâche pas le coup bien entendu, mais son œil est sûr désormais, sa main ferme ; sans trembler, il a tenu Dieu au bout de son canon, il n’y aura plus de lapin ni gros ou petit gibier devant lequel il manque de sang-froid. Au lieu de viser seulement l’ostensoir, quelques-uns, non moins hardis, déchargent leur coup sur le soleil lui-même. S’ils ne se sont pas laissés éblouir, trois gouttes de sang tombent à terre, mais la difficulté est alors de les recueillir. Nul besoin d’expliquer que le fils de Dieu ayant élu domicile dans le soleil comme l’hostie-soleil dans l’ostensoir, c’est toujours le Dieu-soleil que vise l’impie.

Parmi les braconniers, brigands et soldats, la croyance est toujours répandue que l’on peut se garer des balles ennemies au moyen d’amulettes et d’incantations, qui les détournent ou les empêchent de blesser grièvement. On se fait donc au bras