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le pain

espèces du pain et du vin. L’union s’est accomplie, l’identité a été reconnue parfaite. Dieu commença par créer l’homme à son image et a sa ressemblance, mais l’homme le lui a bien rendu ; ils ont si bien fraternisé qu’il est devenu impossible de les distinguer. Tout ce qu’on peut dire, c’est que Dieu est devenu une conception générale et l’homme une individualité concrète, que le premier est un homme abstrait et le second un Dieu réel.

La religion mexicaine, logique et conséquente autant qu’aucune, avait parfaitement développé cette antithèse. D’un côté, des dieux se saoûlant de sang humain, se gavant de chair humaine, et par contre, des hommes qui mangeaient leurs dieux tout entiers.

Déguisés en fourmis, les dieux Quetzalcoatl et Tlathauqui Azcatl trouvèrent le maïs dont ils mangèrent et qu’ils mirent dans la bouche des hommes affamés pour qu’ils prissent des forces. La sagesse de ces êtres divins se révéla en ceci qu’ils cherchèrent et trouvèrent ce qui pouvait se mêler à la chair de l’homme. À notre sang se mêle la farine, dans laquelle le Père et Créateur de tous avait déjà mêle sa propre chair.

À la fin de leur cycle de cinquante-deux années, les prêtres mexicains pétrissaient un dieu gigantesque, dont ils arrachaient ensuite le cœur, dont ils coupaient le corps en morceaux. Chaque province, chaque canton, chaque ville, chaque famille, chaque individu en avait sa part, s’il faut en croire le Chinial Popoca.

Avec des semences nutritives qu’elles concassaient et arrosaient du sang d’enfants égorgés, les nonnes vouées au culte de Huitzipochtli formaient l’image de leur dieu… Un prêtre personnifiait Quetzalcoatl, bandait son arc, visait Huitzipochtli, l’abattait d’un coup de flèche et le découpait en morceaux qui étaient aussitôt distribués au peuple, le cœur étant reservé pour le souverain… Par la même occasion l’on se faisait de petites réserves d’eau bénite, dont on donnait à boire aux généraux quand ils partaient en campagne. Manger le pain d’Huitzipochtli s’appelait « manger la chair de notre Dieu » ou bien « manger le pain de vie », comme s’exprimaient les Totomacs, qui faisaient une obligation d’y goûter de six en